C’est loin des polémiques que le numéro envisage la littérature comme objet d’enseignement. Il s’agit dès lors d’interroger les enjeux et les modalités de la construction du sens. Quelle relation se construit entre l’élève et le livre et comment se construit-elle ? Quels dispositifs d’apprentissage mettre en place pour une pédagogie de la réception littéraire qui tienne compte de l’étrangeté de cet objet pour les élèves ? En quoi l’intertextualité peut-elle favoriser cette réception ? Quelle place pour l’écriture d’invention dans l’approche de l’œuvre littéraire ?
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Sommaire
De quelques expériences en littérature au collège / S. Suffys 7
Couts et contrecoups d’une institutionnalisation / F. Quet 33
Le canapé et l’étagère / P. Heems 45
La Fontaine en sixième / M.-M. Cauterman, F. Darras, M.-P. Vanseveren 53
Le pluriel des réceptions effectives / J.-L. Dufays 71
L
a médiation par le livre en orthophonie / C. Hourdequin 91
V
ariations autour du Bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon / C. Mercier 109
E
ntrer en lecture de L’Odyssée en sixième / C. Charlet 125
Écrit palimpseste et brouillon de lecture / F. Le Goff 135
Du débat interprétatif à l’école ? / A. Dias-Chiaruttini 151
C
orneille avait raison ! On peut choisir sans exclure… / J.-L. Tilleuil 167
Candide ? Un vrai télétubbie ! / C. Larat 183
Résistance de l’œuvre et intertextualité / C. Donadille 195
L
’Oiseau livre : une exposition évolutive / A. Dewez, A. Petit, C. Mercier 205
Des nouvelles du livre pour la jeunesse : journaux intimes (4) / É. Vlieghe 217
Éditorial
Autrefois était l’objet littéraire. Posés scolairement comme une évidence, les textes étaient littéraires parce qu’ils étaient travaillés, étudiés, scolarisés comme tels. La littérature, c’est ce qui s’enseigne, disait Roland Barthes1.
Ces temps sont lointains : à côté du texte littéraire ont émergé, dans les années 1980, à l’école et au collège, de nouvelles catégories aux contours flous, les textes non-littéraires, les écrits dits fonctionnels comme la recette ou le programme TV. Ces nouveaux objets à enseigner trouvaient leur légitimité dans l’élitisme supposé de l’objet littéraire : la littérature était perçue comme machine à sélectionner les élèves, forcément inégaux sur la ligne de départ face à une culture littéraire dont ils étaient ou non les héritiers. […]
Le numéro s’intéresse à un objet, en apparence consensuel du primaire à l’université, mais qui recoupe des réalités multiples, disparates et parfois discutables. Loin d’être récente, l’écriture de soi semble s’être généralisée au gré des instructions officielles avec des finalités et des modalités différentes.
Le numéro pose la question de l’intérêt de l’outil informatique dans les pratiques professionnelles de l’enseignant de français. Enseigner avec l’ordinateur, c’est à la fois utiliser un outil supplémentaire et, dans un même temps, démystifier la place de cet outil dans les représentations des professeurs, des élèves et de l’institution. Il s’agit donc d’interroger les apports de l’ordinateur sur un plan didactique et pédagogique. Quelle place pour lui dans la classe ? En quoi l’ordinateur modifie-t-il le rapport de l’élève aux apprentissages ? L’ordinateur peut aussi modifier le lien de l’enseignant à sa pratique. Qu’apporte-il en matière d’écriture professionnelle ? En quoi influe-t-il sur l’identité professionnelle de l’enseignant ? L’entrée de l’ordinateur dans les classes pose enfin la question des nouveaux rapports qui peuvent s’instaurer entre l’école et les parents.
La question des enjeux du français n’est pas nouvelle à Recherches, elle est au cœur de nos préoccupations depuis la naissance de la revue et oriente notre réflexion et nos propositions. Le numéro revient de manière explicite sur les problèmes professionnels posés par l’enseignement du français. C’est la définition même de la discipline qui est ici interrogée. Elle pose bien sûr question à la didactique et à l’Institution. Elle fait aussi le lit de réactions conservatrices, qu’elles se retrouvent dans la presse ou, plus scandaleusement encore, dans des propositions parlementaires. Loin de la logique de ces discours réactionnaires, des enseignants témoignent de l’aspect composite, multiréférentiel de la discipline et/ou proposent des dispositifs qui mettent en jeu ses enjeux : au primaire, au collège, au lycée, à l’IUFM, mais aussi en prison.
Les opérations de classement font partie des pratiques quotidiennes spontanées de l’enseignement du français. Il s’agit ici d’interroger ces classements proposés aux élèves comme objets de savoir et leurs dérives normatives. La notion de typologies de textes est-elle dépassée ? Quel statut scolaire accorder aux catégories grammaticales ? Quelles représentations ces habitudes de classements induisent-elles chez les élèves ?
Entre les traces écrites de l’enseignant et celles conservées et/ou produites par les élèves, quelles traces cognitives des apprentissages effectués ? Le numéro pose la question du statut de la trace de l’élève dans l’univers scolaire. Quelle place pour les traces écrites des élèves ? En quoi ces écrits portent-ils des traces de capacités cognitives ? Des propositions pour accorder à ces traces une véritable fonction dans les apprentissages en primaire, en UPI, au collège, au lycée, ainsi que dans le dialogue professeur-élève. Il s’agit aussi d’interroger le rituel de la trace écrite dans le cahier de l’élève, dans le manuel et au tableau. Enfin, le numéro s’intéresse aux traces des apprentissages dans les évaluations au collège et au lycée.
Née dans un contexte de rénovation (rénovation des collèges entre autres), la revue, qui fête ses 20 ans et n’est donc plus – pour une revue – toute neuve, se demande aujourd’hui, selon un paradoxe dont elle est coutumière, ce que peut vouloir dire la nouveauté. Lorsque l’institution veut intégrer, voire imposer l’innovation au cœur des programmes (cf. l’écriture d’invention introduite dans les programmes au lycée en 2000 et dont on peut interroger la réelle nouveauté) et non plus seulement encourager les démarches locales et militantes, innover n’a plus les mêmes sens que dans les années 80. C’est cette polysémie actuelle du mot innovation que déclinent les propositions et les interrogations individuelles et collectives de ce numéro : faire contre, faire à contre-pied ; mais aussi maintenant faire avec, faire du neuf avec du neuf – avec les injonctions paradoxales des programmes, avec les nouvelles technologies, etc. – faire du neuf avec du vieux – recycler en bricolant ce qui a déjà été fait mais pas comme ça, pas ici, pas maintenant – saisir toutes les opportunités, à l’école primaire, en UPI ou encore en formation initiale des enseignants, d’inventer pour les élèves des raisons d’être à l’école et pour l’enseignant de continuer chaque jour à enseigner.
« L’écriture d’invention » fait son apparition dans les nouveaux programmes du lycée et devient sujet de baccalauréat. Avec ce numéro, consacré à l’écriture d’invention, Recherches poursuit son cycle d’exploration de ces injonctions institutionnelles qui font écho, de manière plus ou moins lointaine, à des principes qu’elle a elle-même défendus et interroge les discours des instructions officielles comme ceux de leurs promoteurs et de leurs adversaires, en tentant de voir ce qu’elle recoupe comme pratiques effectives, du lycée à la maternelle. Sont aussi proposées des démarches et des réflexions où l’écriture d’invention puisse remplir les objectifs que lui assignaient les intentions des programmes ou encore ceux que l’on peut assigner à l’écriture – organiser sa pensée, construire ses savoirs, prendre du recul, des risques – dans les lieux divers où l’on écrit, à l’école bien sûr mais aussi en prison ou dans les ateliers d’écriture.
Des évaluations nationales en CE2, en 6e, en 5e, en 2nde qui viennent s’ajouter aux examens : d’où vient cette systématisation de l’évaluation au niveau institutionnel et avec quels effets dans les classes ? Des articles qui tentent de cerner certaines impasses des formes institutionnelles d’évaluation du côté des enseignants – quand les cahiers d’évaluations ne sont pas exploitables, quand les résultats des évaluations nationales stigmatisent toujours les mêmes classes, des mêmes établissements – mais aussi du côté des élèves – de l’opacité, voire de la violence que représentent pour les élèves les évaluations nationales, les examens, voire l’évaluation en général. Qu’en faire ? des propositions de rémédiation à partir des évaluations nationales mais aussi l’élaboration d’autres évaluations adaptées à un public donné et ciblé – des enfants à risques de difficultés scolaires en maternelle, un élève primo-arrivant, etc. Quelques réflexions et propositions didactiques pour préparer les examens en français (brevet et baccalauréat), frontalement ou de biais.
Quelles réalités se cachent derrière le trop fameux « ils ne savent pas lire » ? À la différence du n° 17, ce numéro est davantage centré sur l’apprenant et il est serti de multiples portraits de non-lecteurs mais aussi de lecteurs, pour essayer de mieux cerner la diversité des modes d’appropriation de l’écrit et des conditions qui rendent cette appropriation possible, parmi lesquelles la peur d’apprendre et le rôle de la médiation culturelle. Diversité également des publics évoqués puisque les difficultés ou les horizons de lecture présentés sont, entre autres, celles d’élèves d’école primaire, de 6e en REP, de BTS en chaudronnerie, d’un étudiant en faculté de lettres ou de détenus de la prison de Loos. Des activités qui cherchent, modestement mais résolument, à inventer pour s’adapter à ces diversités.
Qu’entend-on par hétérogénéité en maternelle, au CP, au collège ou au lycée ? Que peut apporter la rencontre entre une classe de 6e et une institutrice spécialisée messagère de sa classe d’IEM, entre deux classes d’un même collège, entre une école primaire et des enfants autistes ? Comment rend-on une classe homogène quand une classe dite « hétérogène » est une classe où les élèves ont du mal à vivre ensemble ? Des idées pour que le travail de groupes soit un outil d’apprentissage mais aussi un lieu où se travaille la relation à l’autre et à soi-même (ses difficultés mais aussi ses projets).