
Le numéro questionne l’hétérogénéité de la littérature scolaire, de l’école à l’université, dans l’enseignement du français ou en FLE. Il s’intéresse aux corpus scolarisés dans les manuels, dans différents contextes nationaux (France, Belgique, Maroc), qu’il s’agisse de littérature de jeunesse ou de littérature patrimoniale. Il interroge également le choix des enseignant·es ou celui des apprenants, ainsi que les apprentissages en jeu. Il présente et analyse des démarches visant à faire bouger les frontières de la littérature et à former à la diversité des textes. Il s’interroge ce faisant sur l’effet qu’une ouverture des corpus peut avoir sur les apprentissages des élèves et sur leur rapport à la littérature.
Le numéro est disponible aux Presses universitaires du Septentrion.
Sommaire
Quels textes pour quel·les élèves ? L’exemple de la constitution d’une anthologie d’élèves
Claire Colard-Thomas
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La fabrique scolaire de la littérature marocaine d’expression française (LMEF) : quelle (re)contextualisation dans les manuels du secondaire ?
Anass El Gousairi
Quels corpus pour questionner les valeurs dans l’enseignement des textes littéraires ? Résultats d’enquête
Nicolas Rouvière
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Quelle recevabilité d’une littérature de jeunesse dense en référents culturels pour l’enseignement à l’école primaire ?
Émilie Schindelholtz Aeschbacher
Enseigner les poèmes dans le pluriel des langues : la lecture traduisante de poèmes en classe de français
Blanche Turck
Les objets sémiotiques secondaires au service d’une conception « étendue » de la littérature et de son enseignement ? Le cas des manuels de seconde
Aldo Gennaï, Yoann Daumet
Les manuels scolaires de français en fédération Wallonie-Bruxelles : des outils pour enseigner toutes les littératures ?
Pierre Outers, Nicolas Stilmant
Le choix Goncourt du Brésil : des salons de lecture à la salle de cours
Daniel Teixeira Da Costa Araujo
L’expression des compétences interprétatives des élèves à la croisée des subjectivités lectorales et de la distanciation : la lecture cursive de L’enfant de sable de Tahar Ben Jelloun
Marlène Fraterno
Les littératures et l’approche actionnelle sont-elles solubles dans les manuels de FLE ?
Estelle Riquois
Didactique et diversité : analyse comparative de collections scolaires en langues première et seconde
Chiara Bemporad, Cyrille François
Vous reprendrez bien un peu de poésie latine ?
Antje Kolde, Catherine Fidanza
Éditorial
Pour la deuxième fois de son histoire, Recherches publie un numéro qui n’a pas été élaboré par son comité de rédaction. Après le numéro sur Les genres de l’oral (n° 73, 2020), issu d’un symposium, celui-ci est issu d’un colloque organisé dans le cadre des Rencontres annuelles des chercheurs et chercheuses en didactique de la littérature. Cette particularité explique l’absence ou la faible présence – conjoncturelle et provisoire – d’articles centrés autour de récits d’expériences professionnelles, qui cohabitent habituellement à part égale avec les articles scientifiques.
Pour autant, ce numéro Littératures (au pluriel donc, nous y reviendrons), s’inscrit pleinement dans l’histoire de la revue. Dans la vieille querelle qui a pu opposer les « profs de lettres » aux « profs de français » – et comme l’indique clairement le sous-titre de la revue –, Recherches, depuis son origine, creuse le sillon d’une discipline « français » intégrative, articulée à tous les niveaux de l’école autour de la langue, de la littérature et des pratiques langagières. La plupart des numéros mêlent allègrement ces diverses composantes, tout en s’efforçant de ne pas occulter les tensions et les difficultés inhérentes à une double exigence, celle « de l’intégration des contenus de savoir et du traitement spécifique de chacun d’entre eux ». Penser la langue ou les textes littéraires comme des objets d’apprentissage nécessite en effet de les objectiver, et un certain nombre de numéros de la revue, centrés autour d’objets disciplinaires précis, témoignent ainsi de cette volonté de construire et de penser des apprentissages spécifiques pour ces objets spécifiques, qu’il s’agisse de langue, de littérature, d’oral, d’écriture, etc.
Consacrer explicitement un numéro à la « littérature », comme l’a fait Recherches à plusieurs reprises, ce n’est donc pas poser la littérature comme un objet sacralisé mais au contraire envisager et explorer les conditions de son enseignement tout autant que de son apprentissage. Apprendre la littérature ?, demandait ainsi avec un brin de provocation le numéro 16 (1992), tandis que le numéro 18 (1993) renchérissait en juxtaposant L’élève, la littérature. En 2007, la revue affichait plus sobrement Littérature, et l’on pourrait reprendre aujourd’hui les mots de l’éditorial d’alors, revendiquant un traitement « sans passion, sans polémique », et le parti-pris d’« évite[r], ou [de] laisse[r] implicites, la ou les définitions de cet objet littéraire ».
Littératures, au pluriel, s’inscrit donc dans cette volonté de laisser ouverte la question de ce qui constitue le corpus des textes littéraires : littérature de jeunesse, littérature classique ou patrimoniale, littérature contemporaine, littérature étrangère, rien de ce qui est « réputé » littéraire à l’école n’est étranger à ce numéro, comme en témoignent notamment les analyses des manuels utilisés en France ou ailleurs. Cette diversité ne se superpose ni avec les segments scolaires (primaire / secondaire ; collège / lycées ; filières des lycées) ni avec les niveaux supposés des élèves : les textes classiques ne sont réservés ni aux grandes classes, ni aux « bons » élèves, pas plus que la littérature de jeunesse ou la littérature contemporaine ne peuvent être considérées comme plus « faciles » voire plus attractives. L’enseignement de la littérature pose sans doute de manière exemplaire la question de la « connivence » et la nécessité de construire une culture commune : il s’agit non seulement d’enseigner toutes les littératures, mais bien de les enseigner à tous les élèves. Et l’on ne peut d’ailleurs que regretter le peu de travaux en didactique de la littérature sur l’enseignement professionnel, grand absent de ce numéro.
La question essentielle n’est donc pas tant celle des corpus sur lesquels travailler, mais bien celle des finalités que l’on assigne à la littérature ainsi qu’à son enseignement et apprentissage dans la classe de français, en langue première ou en langue seconde. Et si le travail autour des textes littéraires reste une part importante de la discipline, c’est aussi que ces finalités ne se réduisent ni à la transmission d’une culture voire d’un patrimoine ni à des usages parfois opportunistes au service du travail sur la langue, mais qu’elles impliquent des pratiques de lecture et d’écriture complexes ainsi que des questionnements axiologiques portant sur les valeurs individuelles ou collectives.
Pluriel des corpus de textes et de leurs actualisations (œuvres intégrales ou extraits), pluriel des langues, mais aussi pluriel des contextes d’enseignement et d’apprentissage, des finalités et des élèves : on le voit, le pluriel du titre s’imposait.