La question des enjeux du français n’est pas nouvelle à Recherches, elle est au cœur de nos préoccupations depuis la naissance de la revue et oriente notre réflexion et nos propositions. Le numéro revient de manière explicite sur les problèmes professionnels posés par l’enseignement du français. C’est la définition même de la discipline qui est ici interrogée. Elle pose bien sûr question à la didactique et à l’Institution. Elle fait aussi le lit de réactions conservatrices, qu’elles se retrouvent dans la presse ou, plus scandaleusement encore, dans des propositions parlementaires. Loin de la logique de ces discours réactionnaires, des enseignants témoignent de l’aspect composite, multiréférentiel de la discipline et/ou proposent des dispositifs qui mettent en jeu ses enjeux : au primaire, au collège, au lycée, à l’IUFM, mais aussi en prison.
La rédaction de recherches dédie ce numéro à Jean-François Halté, décédé le 7 décembre 2005.
Les apports décisifs de Jean-François Halté à la didactique du français, dont il était l’un des pionniers, avaient conduit la rédaction de Recherches à lui demander un article pour le présent numéro sur les enjeux de l’enseignement du français. Il avait accepté d’y contribuer, mais la maladie l’en a empêché et sa mort survient au moment où ce numéro de Recherches est sous presse. Nous le lui dédions, en affectueux hommage.
Le numéro est en vente sur notre site. Les articles sont téléchargeables sur cette page.
Sommaire
À quoi bon des professeurs de français en un temps de manque ? Ou de l’utilité sociale des professeurs de français / J. Deswarte 7
Un Débat exemplaire / C. Coget 13
Les enjeux du français : questions pour la didactique / Y. Reuter 25
Au commencement était le verbe… / P. Heems 39
Marivaux dans le neuf-cube / M.-M. Cauterman, M. Habi 45
Prof de français. Prof de Lettres, prof de lettres, prof de l’être / D. Gyre 79
Lever l’implicite / C. Larat 89
Lire, écrire, parler, le propre de qui ? Regards croisés sur un atelier d’écriture en classe de 4e / S. Suffys, C. Féliers 101
Autour de quelques enjeux du français en lycée professionnel / M. Calonne 131
Le décloisonnement : un enjeu de la discipline ? / B. Daunay 139
Lecture et vérité / H. Vincent 151
Le FLE derrière les barreaux / H. Mounib 165
Attention ! Danger ! Non-francophone / F. Darras 173
Les enjeux de l’enseignement du français : à quel prix ? / La rédaction 177
Tu Zones à Rien, et alors ?! Professeurs de français SDF, sans classe et sans élèves / M. Constant 185
Note de lecture / B. Daunay 205
Des nouvelles du livre pour la jeunesse : contes détournés (2) / É. Vlieghe 209
Éditorial
Poser la question des enjeux de l’enseignement du français, à Recherches, c’est se donner le vertige. Nous savions déjà que le « comment enseigner » n’allait pas de soi, et nous l’interrogeons au fil des numéros, en montrant que les réponses ne sont pas pures techniques, mais toujours, en même temps, réflexion sur le sens et les valeurs. Poser la question des enjeux, c’est aborder les problèmes professionnels qui sont les nôtres par un autre bout. Ce que nous avons eu envie de nous demander c’est : « à quoi bon ? »
À quoi bon s’interroger, depuis des années, sur la manière de faire en sorte que les élèves, tous les élèves, apprennent cette discipline, le français ? […]
Les opérations de classement font partie des pratiques quotidiennes spontanées de l’enseignement du français. Il s’agit ici d’interroger ces classements proposés aux élèves comme objets de savoir et leurs dérives normatives. La notion de typologies de textes est-elle dépassée ? Quel statut scolaire accorder aux catégories grammaticales ? Quelles représentations ces habitudes de classements induisent-elles chez les élèves ?
Entre les traces écrites de l’enseignant et celles conservées et/ou produites par les élèves, quelles traces cognitives des apprentissages effectués ? Le numéro pose la question du statut de la trace de l’élève dans l’univers scolaire. Quelle place pour les traces écrites des élèves ? En quoi ces écrits portent-ils des traces de capacités cognitives ? Des propositions pour accorder à ces traces une véritable fonction dans les apprentissages en primaire, en UPI, au collège, au lycée, ainsi que dans le dialogue professeur-élève. Il s’agit aussi d’interroger le rituel de la trace écrite dans le cahier de l’élève, dans le manuel et au tableau. Enfin, le numéro s’intéresse aux traces des apprentissages dans les évaluations au collège et au lycée.
Née dans un contexte de rénovation (rénovation des collèges entre autres), la revue, qui fête ses 20 ans et n’est donc plus – pour une revue – toute neuve, se demande aujourd’hui, selon un paradoxe dont elle est coutumière, ce que peut vouloir dire la nouveauté. Lorsque l’institution veut intégrer, voire imposer l’innovation au cœur des programmes (cf. l’écriture d’invention introduite dans les programmes au lycée en 2000 et dont on peut interroger la réelle nouveauté) et non plus seulement encourager les démarches locales et militantes, innover n’a plus les mêmes sens que dans les années 80. C’est cette polysémie actuelle du mot innovation que déclinent les propositions et les interrogations individuelles et collectives de ce numéro : faire contre, faire à contre-pied ; mais aussi maintenant faire avec, faire du neuf avec du neuf – avec les injonctions paradoxales des programmes, avec les nouvelles technologies, etc. – faire du neuf avec du vieux – recycler en bricolant ce qui a déjà été fait mais pas comme ça, pas ici, pas maintenant – saisir toutes les opportunités, à l’école primaire, en UPI ou encore en formation initiale des enseignants, d’inventer pour les élèves des raisons d’être à l’école et pour l’enseignant de continuer chaque jour à enseigner.
« L’écriture d’invention » fait son apparition dans les nouveaux programmes du lycée et devient sujet de baccalauréat. Avec ce numéro, consacré à l’écriture d’invention, Recherches poursuit son cycle d’exploration de ces injonctions institutionnelles qui font écho, de manière plus ou moins lointaine, à des principes qu’elle a elle-même défendus et interroge les discours des instructions officielles comme ceux de leurs promoteurs et de leurs adversaires, en tentant de voir ce qu’elle recoupe comme pratiques effectives, du lycée à la maternelle. Sont aussi proposées des démarches et des réflexions où l’écriture d’invention puisse remplir les objectifs que lui assignaient les intentions des programmes ou encore ceux que l’on peut assigner à l’écriture – organiser sa pensée, construire ses savoirs, prendre du recul, des risques – dans les lieux divers où l’on écrit, à l’école bien sûr mais aussi en prison ou dans les ateliers d’écriture.
Des évaluations nationales en CE2, en 6e, en 5e, en 2nde qui viennent s’ajouter aux examens : d’où vient cette systématisation de l’évaluation au niveau institutionnel et avec quels effets dans les classes ? Des articles qui tentent de cerner certaines impasses des formes institutionnelles d’évaluation du côté des enseignants – quand les cahiers d’évaluations ne sont pas exploitables, quand les résultats des évaluations nationales stigmatisent toujours les mêmes classes, des mêmes établissements – mais aussi du côté des élèves – de l’opacité, voire de la violence que représentent pour les élèves les évaluations nationales, les examens, voire l’évaluation en général. Qu’en faire ? des propositions de rémédiation à partir des évaluations nationales mais aussi l’élaboration d’autres évaluations adaptées à un public donné et ciblé – des enfants à risques de difficultés scolaires en maternelle, un élève primo-arrivant, etc. Quelques réflexions et propositions didactiques pour préparer les examens en français (brevet et baccalauréat), frontalement ou de biais.
Quelles réalités se cachent derrière le trop fameux « ils ne savent pas lire » ? À la différence du n° 17, ce numéro est davantage centré sur l’apprenant et il est serti de multiples portraits de non-lecteurs mais aussi de lecteurs, pour essayer de mieux cerner la diversité des modes d’appropriation de l’écrit et des conditions qui rendent cette appropriation possible, parmi lesquelles la peur d’apprendre et le rôle de la médiation culturelle. Diversité également des publics évoqués puisque les difficultés ou les horizons de lecture présentés sont, entre autres, celles d’élèves d’école primaire, de 6e en REP, de BTS en chaudronnerie, d’un étudiant en faculté de lettres ou de détenus de la prison de Loos. Des activités qui cherchent, modestement mais résolument, à inventer pour s’adapter à ces diversités.
Qu’entend-on par hétérogénéité en maternelle, au CP, au collège ou au lycée ? Que peut apporter la rencontre entre une classe de 6e et une institutrice spécialisée messagère de sa classe d’IEM, entre deux classes d’un même collège, entre une école primaire et des enfants autistes ? Comment rend-on une classe homogène quand une classe dite « hétérogène » est une classe où les élèves ont du mal à vivre ensemble ? Des idées pour que le travail de groupes soit un outil d’apprentissage mais aussi un lieu où se travaille la relation à l’autre et à soi-même (ses difficultés mais aussi ses projets).
Des propositions de travail sur des supports imagés très divers : un film, des affiches de film ou de pièces de théâtre, des illustrations de nouvelles, des images de Pef ou de Goya, des bandes dessinées… Se servir de l’image pour faire parler, pour apprendre à lire et à communiquer (article d’une équipe de l’institut de rééducation psychothérapeutique de Roubaix consacré à l’usage du pictogramme), pour se regarder (travail sur des présentations orales filmées en 3e d’insertion), pour comprendre d’autres images, pour faire écrire et inventer. Des points de vue sur l’image que les élèves ont et donnent d’eux-mêmes mais aussi des interrogations sur la pseudo-évidence de l’image et de son utilisation comme facilitateur d’apprentissage.
Comment faire avec les injonctions d’enseigner l’oral ? Analyses institutionnelles et propositions didactiques (collège, LP, école élémentaire, lycée) permettent d’y voir un peu plus clair. Cadres didactiques généraux sur la parole en classe et le travail sur l’oral. Parallèlement, on s’interroge sur les limites des pouvoirs de la didactique : objectifs du travail des orthophonistes, analyse des digressions dans le travail de groupe. Sont questionnés également certains aspects des relations oral/écrit.
Depuis que la littérature de jeunes est entrée en classe, qu’est-elle devenue ? Comment continuer à innover avec les livres ou les albums en lecture et écriture sans céder à la banalisation scolaire ? Des démarches sont proposées pour le collège et les élèves en difficulté de l’école élémentaire. Peut-être faut-il aller aussi voir en dehors de la classe, dans les quartiers et auprès des parents, ou, dans le cadre des activités scolaires, emmener les élèves dans une « vraie » librairie, ouvrir le CDI à de « vrais » auteurs. Pour finir, il est également intéressant de s’informer sur l’édition (comment évolue-t-elle ? qu’en disent les éditeurs ?).