Innovez ! Tel parait être le mot d’ordre institutionnel actuel. Mais ce que l’on baptise « innovation » est-il réellement nouveau ? Et, surtout, les innovations prônées sont-elles gages d’un véritable renouvèlement didactique et pédagogique, prenant en compte les problèmes d’apprentissage ?
Le numéro interroge les pratiques professionnelles dites innovantes comme les classes inversées. Il remet à leur juste place les outils numériques comme le TNI dont l’usage ne dispense pas d’une réflexion pédagogique et didactique. Les propositions d’activités du numéro réaffirment, dans l’acception que lui donne Lévi-Strauss, la part de bricolage pédagogique inhérente au métier. C’est l’expertise de l’enseignant qui lui permet de créer des dispositifs d’apprentissage et de gestion de classe efficients. Cela l’amène aussi à faire du neuf avec de vieilles recettes (en leur temps perçues comme innovantes) pour faire face à des prescriptions ou à des enjeux nouveaux. Ces dispositifs peuvent être d’envergure ou relever du quotidien de la classe. Dans les deux cas, ils demandent le temps de la maturation, de la concertation, de la mise en œuvre mais aussi le temps cyclique de l’expérimentation qui permet de les affiner.
Le numéro est disponible aux Presses Universitaires du Septentrion.
Sommaire
L’écureuil en cage de l’innovation, entre changement prescrit et invention ordinaire / Élisabeth Nonnon 9
Du temps pour inventer : un rallye avec toutes les 6e / Sophie Dziombowski 43
Le jour où je me suis déspécialisé / P. Heems 53
La classe inversée : l’innovation pédagogique en question(s) / Virginie Trémion 65
Votre futur livre préféré. Bricolages numériques entre exaltation et hésitations autour de la lecture cursive / Clémence Coget 81
Hors des rails / M. Habi 111
Innovations numériques et innovations pédagogiques à l’école / Cédric Fluckiger 119
Ma réforme de l’oral / Stéphanie Michieletto-Vanlancker 135
Faire du neuf avec du vieux : quelques réflexions sur un dispositif d’écriture à l’université d’Artois / Jean-François Inisan 147
Manipuler les textes avec les élèves : une relecture de Recherches / Nathalie Denizot 161
Des nouvelles du livre pour la jeunesse : terrorisme / É. Vlieghe 181
Éditorial
Pour célébrer ses 20 ans, Recherches publiait, en 2004, un numéro intitulé « Innover ». L’éditorial rappelait alors la place centrale, dans l’histoire de la revue, de « l’enseignant concepteur » qui innove « pour garder un regard critique sur l’évolution du système, une préoccupation particulière et générale pour ceux, élèves et parents, dont l’intérêt ne cesse jamais d’être au cœur des dispositifs d’apprentissage, en dépit des réformes et des discours officiels ». Il réaffirmait avec force que l’innovation était inhérente au métier et qu’il était prudent d’examiner la pertinence et le degré d’acceptabilité des innovations prescrites par une institution prompte aux rénovations de façade. Depuis lors, réformes et prescriptions ont continué à se succéder à un rythme tel que leur mise en place et leur appropriation, qui nécessitent un temps long [1], sont souvent vouées à l’échec. À cela s’ajoute l’absence d’évaluation effective et nuancée, faute de temps là encore, mais aussi de volonté politique : une telle analyse risquerait de mettre à mal la vénération du « neuf » face à la complexité des pratiques réelles et des apprentissages en jeu.
Si la revue a décidé de consacrer une nouvelle livraison à ce fil rouge, qui lui est cher, de l’enseignant-concepteur, c’est que […]
[1]. L’institution fait pourtant parfois l’expérience de ce temps long puisqu’il lui aura fallu près de trente ans pour appliquer, dans ses textes officiels, les rectifications proposées en 1990 par le Conseil Supérieur de la langue française.
Si le genre est au cœur de l’enseignement du français, ce n’est pas seulement à travers ces objets d’étude que sont les genres littéraires. À l’école, le travail sur les textes est encadré par des modèles qui en régissent la réception et la production. Selon une approche plurielle (didactique du français, analyse du discours et histoire des disciplines), le numéro traite de genres scolaires qui s’enseignent (la dissertation), mais aussi d’outils (les manuels, les questionnaires sur un texte) et d’activités (la récitation) qui gagnent à être pensés comme des genres scolaires, ainsi que de l’usage scolaire, voire de la scolarisation, d’objets extrascolaires (albums pour la jeunesse). Chemin faisant, le numéro explore ainsi la construction scolaire des objets d’enseignement.
L’aide est une dimension constitutive du métier d’enseignant : enseigner, c’est aider à apprendre. Pour aider, l’enseignant est tantôt dans l’anticipation, tantôt dans l’immédiateté : en amont du cours, il identifie ce qui peut faire obstacle aux apprentissages et imagine des facilitations ; au quotidien, dans les interactions avec les élèves, il réagit, reconstruit, adapte ses démarches. Mais « aider » est aussi un mot d’ordre institutionnel, qui se traduit par la mise en place de dispositifs multiples dont la pertinence ne va pas de soi. À travers des situations concrètes, les articles parcourent ces différentes dimensions de l’aide, pour comprendre ce qui permet la construction de cette professionnalité et ce qui la freine.
Enseigner et évaluer vont de pair pour l’enseignant. Mais ses pratiques en la matière sont doublement encadrées par l’institution : par les instruments d’évaluation nationaux et internationaux, mais aussi par les prescriptions en matière d’évaluation, associées aux nouveaux dispositifs et programmes. Cette double intervention laisse souvent l’enseignant déconcerté face à des tâches mal définies, comme l’évaluation des compétences. D’où le parti pris d’interroger les présupposés et enjeux de ces instruments et prescriptions, et de continuer de proposer des démarches qui rendent l’élève conscient de ses apprentissages.
La reformulation est essentielle à l’acte pédagogique, aussi bien dans l’élaboration du savoir à enseigner que dans la préparation de ses cours par l’enseignant, dans le discours de l’élève ou dans les interactions au sein de la classe… La reformulation, qu’elle soit orale ou écrite, qu’elle concerne un énoncé écrit ou oral, est une nécessité pour faire vivre au sein d’une classe, dans un contexte constamment renouvelé, les savoirs et les discours. Cette livraison de Recherches veut interroger les différentes formes de reformulation que la classe de français fait vivre : il s’agit, en somme, de décliner la reformulation et d’en montrer toutes les facettes. Dans les activités proposées dans ce numéro, la reformulation est un moyen d’entrer dans les textes et dans les activités de la classe.
Commencer à écrire, apprendre à écrire et à réécrire, continuer d’apprendre à écrire, écrire pour apprendre : l’« écrire » comme processus est au centre de ce numéro. Les articles s’intéressent aux apprentissages multiples corrélés à l’écriture. Écrire à l’école, c’est, entre autres, mettre en jeu des postures disciplinaires. Du côté de l’enseignement, concevoir des démarches d’apprentissage suppose de prendre en compte la complexité du processus et d’en assumer les tensions et paradoxes. Par exemple celui-ci : si l’écriture réussie est une écriture investie, comment aider les élèves à investir des écrits qui doivent avant tout répondre à des normes scolaires ? Ces questions, et d’autres, se posent et se travaillent à tous les niveaux, des premières classes élémentaires à l’université.
Révolution numérique oblige, la notion d’outil est souvent associée aux outils informatiques, TBI, Web social, plateformes d’enseignement à distance etc. Mais, du crayon au manuel, ce numéro de Recherches s’intéresse aussi aux outils traditionnels et aux outils conceptuels propres à l’enseignement du français. Il interroge les interactions enseignants/outils/élèves à tous les niveaux de la scolarité, de l’école à l’Université. Il s’agit notamment de se demander en quoi les besoins didactiques amènent à privilégier tel ou tel outil, et pour quels usages, et en quoi l’outil lui-même peut induire – ou non – une posture d’enseignement différente. Sans oublier la question de l’appropriation de l’outil – qu’il soit issu de la sphère scolaire ou extrascolaire – par l’enseignant comme par l’élève.
Les récits sont partout à l’école, et ce bien au-delà de la discipline « français », tout en résistant aux définitions : qu’il soit au singulier ou au pluriel, les contours scolaires de l’objet restent flous et même fluctuent. Ce numéro de Recherches part donc d’une définition minimale : faire un récit, c’est raconter une histoire, à l’écrit, à l’oral voire en images. Et il explore quelques implications didactiques, à plusieurs niveaux scolaires et en formation d’enseignants, qu’il s’agisse de développer la connaissance des récits ou d’apprendre par des récits. En essayant de ne jamais oublier, dans les démarches proposées ni les analyses envisagées, qu’il y a aussi du plaisir à inventer ou entendre des récits.
Apprendre à lire… Tout un programme, de l’école à l’université. Lire sans comprendre, ce n’est pas lire. À chaque étape de l’apprentissage de la lecture, il y a pour l’élève des sauts à accomplir : passer de la lecture des syllabes à la lecture du mot, de la lecture accompagnée à la lecture individuelle, de la lecture des détails à la compréhension de l’ensemble, de la lecture d’un roman à son utilisation en contexte scolaire, etc. Dans ce parcours, l’élève peut douter, se perdre, renoncer ; quant à l’enseignant, il peine à comprendre ce que ne comprend pas l’élève. À travers les analyses, propositions de démarches, propos d’élèves, ce numéro met le doigt sur une difficulté centrale de notre enseignement : la définition de « ce qu’il y a à comprendre » dans les textes.
L’école n’est pas un sanctuaire. L’élève y vient avec son vécu d’enfant et l’institution elle-même fait entrer dans l’école des objets extrascolaires ou fait sortir les classes (théâtre, cirque, cinéma, musée, etc.). L’évolution des injonctions officielles et des partenariats est de ce point de vue riche d’enseignements.
Types de textes, formes de discours, genres de textes : que recouvrent ces oscillations terminologiques ? Les types de textes et les formes de discours ont disparu, presque à demi-mot, des derniers programmes de français de l’école élémentaire (2008), du collège (2008) et du lycée (2010), alors pourquoi s’y intéresser ? C’est que ces objets, même s’ils sont désormais estimés hors-sujet par l’Institution, ne sont pas pour autant hors d’usage pour les praticiens, chercheurs et enseignants confondus. La recherche continue de s’y intéresser en les affinant sans cesse. Et c’est dans la mesure où ces catégorisations peuvent aider l’enseignant à penser les apprentissages que Recherches y consacre ce numéro.
Ce numéro se propose de débrouiller la notion de brouillon en l’éclairant du point de vue théorique, tant par le biais de l’histoire de la notion et de ses acceptions, que par celui des nombreux champs d’études en présence. Les analyses de réécritures permettent de mesurer à quel point le brouillon peut parfois devenir contre-productif. Ce que disent de leurs pratiques les élèves et les étudiants, ou encore les analyses de « brouillons » conduisent aussi à se méfier de toute prescription simplificatrice et réductrice.