Le champ disciplinaire du français inclut des savoirs spécifiques (la langue, les discours, la littérature), mais l’enseignant de français, quand il n’est pas lui-même polyvalent (comme dans le premier degré), partage avec d’autres des tâches d’enseignement qui élargissent son champ. Les disciplines se croisent au gré de projets d’équipes, d’opportunités, de partenariats possibles et d’injonctions institutionnelles fluctuantes. Le français est pris dans une nébuleuse de dispositifs qui mettent en œuvre des formes de collaboration interdisciplinaires diverses de par les objectifs visés, les modalités concrètes, les enjeux institutionnels, le degré de facilitation du travail des équipes engagées. Quels apprentissages ces interdisciplinarités favorisent-elles, et à quelles conditions ?
Le numéro est disponible aux Presses Universitaires du Septentrion.
Sommaire
Ce que les murs de ma classe disent de mes pas de côté disciplinaires au lycée / Catherine Mercier 7
Laisser la porte ouverte / Stéphanie Michieletto-Vanlancker 31
Le Grand Graveur et les petits enfants, ou tel est appris qui croyait apprendre / Patrice Heems 47
L’espace interdisciplinaire entre la discipline « français » et l’éducation artistique et culturelle / Jean-Charles Chabanne 63
L’atelier slam comme exemple de collaboration entre le français langue maternelle et l’anglais langue étrangère / Catherine Gendron 93
De différentes formes d’interdisciplinarité dans les programmes de collège / Isabelle Delcambre, Marie-Michèle Cauterman 109
EPI quoi encore ? / Sophie Dziombowski, Malik Habi, Stéphanie Michieletto-Vanlancker 141
Interdidactique et didactique du français : quels (r)apports ? quels enjeux ? / Nicole Biagioli 163
Interdisciplinarité choisie : trois disciplines autour de l’oral / Sophie Dziombowski 201
Regards croisés sur un dispositif de formation pluridisciplinaire / Pierre Carion, Christophe Charlet 211
Des nouvelles du livre pour la jeunesse : terrorisme (volet 2) / Élizabeth Vlieghe 223
Éditorial
Entre 2002, date de publication du numéro n° 37 de Recherches, Français et interdisciplinarité, et aujourd’hui, l’injonction interdisciplinaire s’est faite plus aigüe, elle s’impose à l’enseignant de manière à la fois plus intense mais aussi parfois plus douloureuse. Dans l’éditorial du n° 37, le comité de rédaction revenait sur le caractère protéiforme de la discipline « français » et sur la difficulté, déjà ancienne à l’époque, de trouver une cohérence entre les différents champs qu’elle recouvre. Il revendiquait la volonté de s’emparer de certains dispositifs visant à encourager l’interdisciplinarité (comme les travaux personnels encadrés ou les itinéraires de découverte), mais aussi de promouvoir un travail interdisciplinaire volontaire et autonome, dont la logique viendrait des nécessités de l’apprentissage. Il s’interrogeait enfin sur les conditions nécessaires pour qu’ouvrir la discipline et la classe au monde extérieur permette aux élèves de progresser, dans une conception large de l’interdisciplinarité. Ces trois dimensions sont présentes dans ce nouveau numéro, mais il semble qu’un travail difficile soit devenu indispensable pour assurer leur articulation. […]
Innovez ! Tel parait être le mot d’ordre institutionnel actuel. Mais ce que l’on baptise « innovation » est-il réellement nouveau ? Et, surtout, les innovations prônées sont-elles gages d’un véritable renouvèlement didactique et pédagogique, prenant en compte les problèmes d’apprentissage ?
Si le genre est au cœur de l’enseignement du français, ce n’est pas seulement à travers ces objets d’étude que sont les genres littéraires. À l’école, le travail sur les textes est encadré par des modèles qui en régissent la réception et la production. Selon une approche plurielle (didactique du français, analyse du discours et histoire des disciplines), le numéro traite de genres scolaires qui s’enseignent (la dissertation), mais aussi d’outils (les manuels, les questionnaires sur un texte) et d’activités (la récitation) qui gagnent à être pensés comme des genres scolaires, ainsi que de l’usage scolaire, voire de la scolarisation, d’objets extrascolaires (albums pour la jeunesse). Chemin faisant, le numéro explore ainsi la construction scolaire des objets d’enseignement.
L’aide est une dimension constitutive du métier d’enseignant : enseigner, c’est aider à apprendre. Pour aider, l’enseignant est tantôt dans l’anticipation, tantôt dans l’immédiateté : en amont du cours, il identifie ce qui peut faire obstacle aux apprentissages et imagine des facilitations ; au quotidien, dans les interactions avec les élèves, il réagit, reconstruit, adapte ses démarches. Mais « aider » est aussi un mot d’ordre institutionnel, qui se traduit par la mise en place de dispositifs multiples dont la pertinence ne va pas de soi. À travers des situations concrètes, les articles parcourent ces différentes dimensions de l’aide, pour comprendre ce qui permet la construction de cette professionnalité et ce qui la freine.
Enseigner et évaluer vont de pair pour l’enseignant. Mais ses pratiques en la matière sont doublement encadrées par l’institution : par les instruments d’évaluation nationaux et internationaux, mais aussi par les prescriptions en matière d’évaluation, associées aux nouveaux dispositifs et programmes. Cette double intervention laisse souvent l’enseignant déconcerté face à des tâches mal définies, comme l’évaluation des compétences. D’où le parti pris d’interroger les présupposés et enjeux de ces instruments et prescriptions, et de continuer de proposer des démarches qui rendent l’élève conscient de ses apprentissages.
La reformulation est essentielle à l’acte pédagogique, aussi bien dans l’élaboration du savoir à enseigner que dans la préparation de ses cours par l’enseignant, dans le discours de l’élève ou dans les interactions au sein de la classe… La reformulation, qu’elle soit orale ou écrite, qu’elle concerne un énoncé écrit ou oral, est une nécessité pour faire vivre au sein d’une classe, dans un contexte constamment renouvelé, les savoirs et les discours. Cette livraison de Recherches veut interroger les différentes formes de reformulation que la classe de français fait vivre : il s’agit, en somme, de décliner la reformulation et d’en montrer toutes les facettes. Dans les activités proposées dans ce numéro, la reformulation est un moyen d’entrer dans les textes et dans les activités de la classe.
Commencer à écrire, apprendre à écrire et à réécrire, continuer d’apprendre à écrire, écrire pour apprendre : l’« écrire » comme processus est au centre de ce numéro. Les articles s’intéressent aux apprentissages multiples corrélés à l’écriture. Écrire à l’école, c’est, entre autres, mettre en jeu des postures disciplinaires. Du côté de l’enseignement, concevoir des démarches d’apprentissage suppose de prendre en compte la complexité du processus et d’en assumer les tensions et paradoxes. Par exemple celui-ci : si l’écriture réussie est une écriture investie, comment aider les élèves à investir des écrits qui doivent avant tout répondre à des normes scolaires ? Ces questions, et d’autres, se posent et se travaillent à tous les niveaux, des premières classes élémentaires à l’université.
Révolution numérique oblige, la notion d’outil est souvent associée aux outils informatiques, TBI, Web social, plateformes d’enseignement à distance etc. Mais, du crayon au manuel, ce numéro de Recherches s’intéresse aussi aux outils traditionnels et aux outils conceptuels propres à l’enseignement du français. Il interroge les interactions enseignants/outils/élèves à tous les niveaux de la scolarité, de l’école à l’Université. Il s’agit notamment de se demander en quoi les besoins didactiques amènent à privilégier tel ou tel outil, et pour quels usages, et en quoi l’outil lui-même peut induire – ou non – une posture d’enseignement différente. Sans oublier la question de l’appropriation de l’outil – qu’il soit issu de la sphère scolaire ou extrascolaire – par l’enseignant comme par l’élève.
Les récits sont partout à l’école, et ce bien au-delà de la discipline « français », tout en résistant aux définitions : qu’il soit au singulier ou au pluriel, les contours scolaires de l’objet restent flous et même fluctuent. Ce numéro de Recherches part donc d’une définition minimale : faire un récit, c’est raconter une histoire, à l’écrit, à l’oral voire en images. Et il explore quelques implications didactiques, à plusieurs niveaux scolaires et en formation d’enseignants, qu’il s’agisse de développer la connaissance des récits ou d’apprendre par des récits. En essayant de ne jamais oublier, dans les démarches proposées ni les analyses envisagées, qu’il y a aussi du plaisir à inventer ou entendre des récits.
Apprendre à lire… Tout un programme, de l’école à l’université. Lire sans comprendre, ce n’est pas lire. À chaque étape de l’apprentissage de la lecture, il y a pour l’élève des sauts à accomplir : passer de la lecture des syllabes à la lecture du mot, de la lecture accompagnée à la lecture individuelle, de la lecture des détails à la compréhension de l’ensemble, de la lecture d’un roman à son utilisation en contexte scolaire, etc. Dans ce parcours, l’élève peut douter, se perdre, renoncer ; quant à l’enseignant, il peine à comprendre ce que ne comprend pas l’élève. À travers les analyses, propositions de démarches, propos d’élèves, ce numéro met le doigt sur une difficulté centrale de notre enseignement : la définition de « ce qu’il y a à comprendre » dans les textes.
L’école n’est pas un sanctuaire. L’élève y vient avec son vécu d’enfant et l’institution elle-même fait entrer dans l’école des objets extrascolaires ou fait sortir les classes (théâtre, cirque, cinéma, musée, etc.). L’évolution des injonctions officielles et des partenariats est de ce point de vue riche d’enseignements.
Types de textes, formes de discours, genres de textes : que recouvrent ces oscillations terminologiques ? Les types de textes et les formes de discours ont disparu, presque à demi-mot, des derniers programmes de français de l’école élémentaire (2008), du collège (2008) et du lycée (2010), alors pourquoi s’y intéresser ? C’est que ces objets, même s’ils sont désormais estimés hors-sujet par l’Institution, ne sont pas pour autant hors d’usage pour les praticiens, chercheurs et enseignants confondus. La recherche continue de s’y intéresser en les affinant sans cesse. Et c’est dans la mesure où ces catégorisations peuvent aider l’enseignant à penser les apprentissages que Recherches y consacre ce numéro.