N° 78 – MÉDIAS

La diversification des ressources médiatiques offre de multiples possibilités en termes d’apprentissages : recherches, productions numériques (webzine, webradio, blog…) photographie, bande dessinée mais aussi jeux (de société ou serious game). Le numérique est au cœur de la quasi-totalité des articles de ce numéro, reflet de la place prépondérante des supports numériques dans la diffusion de l’information. L’école ne cesse d’interroger son rapport aux médias, car leur permanente évolution oblige à repenser l’usage qui pourrait en être fait en classe. Ces médias sont ici envisagés comme outils pédagogiques pour développer des compétences d’expression orale et écrite, mais aussi comme objets d’apprentissage en soi, pour mieux en appréhender les codes et les utiliser de manière pertinente. 

Le numéro est disponible aux Presses universitaires du Septentrion.

Sommaire

Une perspective transmédiale sur la focalisation
Raphaël Baroni
Lire un extrait

People of Freyssinet : une exposition photo qui donne du sens aux apprentissages disciplinaires et transversaux
Catherine Gendron
Lire un extrait

Projet radio, risques et liberté
Coraline Soulier

Motiver les élèves en valorisant leurs pratiques de littératie numérique : effets manqués d’une exploitation du genre de la chronique
Cindy De Amaral

Apprendre à ponctuer avec un serious game en cycle 3
Véronique Paolacci, Michel Galaup

Production d’un article numérique multimodal de type explicatif : quelles pratiques réelles d’emprunt ont les adolescents de 14-15 ans ?
Eve Gladu, Nathalie Lacelle

L’autoportrait numérique : dévoilement ou dissimulation de soi ?
Christine Dupin

Des gestes professionnels caractéristiques de l’enseignement de la littératie numérique ? L’exemple de l’enseignement compétence « naviguer-rechercher »
Magali Brunel, Jimmy Coste

Accompagner les élèves dans les apprentissages à travers l’usage des activités ludiques : Oui, mais comment ?
Lucie Cheval

À vos micros ! La radio en classe de français et de FLE
Sabrina Mathis

Animer un média scolaire : récit d’expérience
Estelle Deschutter

 

Éditorial

Qu’est-ce qu’un média ? Emprunté initialement à l’anglais mass media,
le terme est défini par Le Petit Robert comme renvoyant à un « moyen de
diffusion, de distribution ou de transmission de signaux porteurs de
messages sonores, écrits, visuels… » Tout support communicationnel
pourrait alors être considéré comme un média, textes littéraires ou scolaires
compris. Pour autant, le lien étymologique avec les médias de masse tend à
associer la notion de média aux moyens de communication utilisés pour
toucher le plus grand nombre hors de l’école.


Ce n’est pas la première fois que Recherches évoque la place de tels
médias dans l’enseignement du français : L’Ordinateur en français (n° 44),
Le Cinéma en classe de français (n° 51), L’Extrascolaire à l’école (n° 57),
Usages du numérique (n° 69) abordent tous cette question. Mais l’originalité
de ce numéro tient à la diversité des dispositifs considérés ici comme des
médias et rapprochés dans une même publication : jeux, recherche
documentaire, production d’articles numériques, productions radiophoniques,
photographie, bande dessinée… Un média est cependant absent : la
presse écrite sur support papier. De fait, le numérique joue un rôle important
dans la quasi-totalité des articles rassemblés dans ce numéro. Ce poids est lié
à la place prépondérante que prennent désormais les supports numériques
dans la diffusion de l’information. Si l’école a besoin d’interroger son
rapport aux médias, c’est aussi parce que ceux-ci ne cessent d’évoluer et
l’obligent à repenser l’usage qui pourrait en être fait en classe.


Ces médias, apparus plus ou moins récemment, peuvent être envisagés
comme des outils pédagogiques : c’est le cas, par exemple, de concepts
d’abord empruntés par la narratologie à l’analyse cinématographique et, par
la suite, largement repris par le discours scolaire. La bande dessinée peut
constituer un média efficace pour en permettre un enseignement. Le
caractère transmédial de connaissances et compétences disciplinaires liées au
français autorise donc les enseignants à investir des médias qui ne sont pas
traditionnellement associés à la discipline pour développer des
connaissances disciplinaires classiques. Plusieurs articles montrent ainsi
l’intérêt des médias numériques pour développer des compétences
d’expression orale et écrite : écrire une fiction radiophonique, participer à un
webzine, faire le portrait de membres de la communauté éducative. Cela
permet, par ailleurs, de donner sens à la production de textes et de discours
conformes aux attentes scolaires. Sur un autre plan, le jeu, qu’il s’agisse d’un
jeu vidéo ou d’un jeu de société, peut constituer un média intéressant pour
construire des dispositifs d’entrainement. Les élèves peuvent y mettre en
oeuvre, de manière plus ou moins autonome, des compétences liées au cours.
Pour autant, l’usage d’un média, même identifié comme faisant partie des
pratiques extrascolaires des élèves, n’est pas la garantie d’un engagement de
ces mêmes élèves. La scolarisation de genres extérieurs à l’école se fait aux
risques et périls de l’enseignant‧e face à des élèves qui peuvent refuser cette
scolarisation, soit parce qu’ils ne s’identifient pas au dit média, soit parce
qu’ils considèrent que sa place n’est pas à l’école.

[…]

Les coups de cœur d’Élizabeth Vlieghe – 2023

DOCUMENTAIRES

Histoires d’amour, Françoise Davisse, Carl Aderhold, Cécile Jugla/Gwladys Morey, Nathan, 2021.

Prolongeant la série documentaire télévisée « Il était une fois l’amour à la française », réalisée dans le cadre d’ Histoire d’une nation, cet ouvrage traite de toutes les grandes questions liées au sujet, même les plus intimes ou les plus délicates voire taboues. Reprenant la même maquette que l’ouvrage précédent (voir Coups de cœur Hiver-2019-2020), les auteurs abordent les problématiques liées à l’amour en courts chapitres (« La femme une petite chose fragile ? », « Aimer qui on veut, comme on veut ? », « Le sexe, ça s’apprend ? », « Un enfant si je veux, quand je veux ? »…), tout d’abord resitués dans une perspective historique, du XIXe siècle à nos jours ; viennent ensuite les témoignages de personnes extrêmement diverses, de toutes générations, inconnues ou célèbres, illustrés de photos et de dessins humoristiques très colorés. On lira avec intérêt la chronologie de l’amour en France (1791-2020), proposée en fin d’ouvrage, qui fera découvrir aux lecteurs les plus jeunes, les retours en arrière fulgurants en matière de lois sur l’homosexualité ou le divorce par exemple.

Dys et célèbres, Guillemette Faure et Mikankey, Casterman, 2022.

Sous-titré « Comment la dyslexie peut rendre plus fort, 24 personnalités inspirantes », voilà un ouvrage qui devrait mettre du baume au cœur de nombreux dyslexiques et de leurs parents. En dressant le portrait de 24 « dys » devenus célèbres (artistes, politiques, sportifs, scientifiques, cuisiniers…), l’auteure se donne pour mission de rassurer tous ceux qui sont concernés en décrivant le parcours, certes difficile, de ces personnalités connues du grand public. La plupart insiste sur les stratégies de contournement déployées, les astuces mises en œuvre, certain·e·s n’ayant découvert leur dyslexie que tardivement. À noter cependant que tous ont eu la chance de croiser des adultes bienveillants, compréhensifs, aidants. Autrement dit, l’ouvrage permettra autant de rassurer les « dys » en tous genres que d’inciter leurs proches et leurs éducateurs à les encourager, à les stimuler. Préfacée avec beaucoup d’humour par Thomas Legrand, journaliste et éditorialiste sur France Inter, directement concerné, cette galerie de portraits invite les « dys » à développer leur créativité et à prendre des chemins de traverse, afin de ne pas rester bloqués face à leurs rêves. Chaque double page consacrée à un·e « dys » célèbre est agrémentée de dessins amusants et colorés. Ressources en fin d’ouvrage.

Je profite de cette présentation pour mentionner La Vraie Vie de l’école, Pauline Alphen, illustré par Joanna Wiejak, paru chez Nathan en 2018, dont j’espérais la parution en poche.
La couverture, erreurs orthographiques en prime, annonce la couleur : le sujet, même grave, sera traité avec humour ! La *vrê *vi, c’est celle qui se passe à la récré, évidemment… Ambre Lefort, 9 ans, dyslexique, se bat avec les lettres et les mots. Inscrite en CM1 dans une nouvelle école censée lui apporter de l’aide après une scolarité chaotique, elle tombe de Charybde en Scylla : l’institutrice, Madame Dutron-Rifot ne la soutient pas, au contraire, et elle retrouve Morgane Lapail dite Lapeste, sa pire ennemie ! Ambre entame une correspondance électronique (voir réseau lettres) avec son frère ainé, Arthur, qui l’encourage à raconter son présent et son passé, en utilisant les mots qui lui viennent (« névralgique » pour « nostalgique », « perfusion » pour « profusion », « déglinguer » pour « dénigrer »…), car la langue « ambrienne » ne manque ni d’imagination ni de poésie ! L’année d’Ambre ne sera pas de tout repos, malgré tous ses efforts, mais elle tient le coup grâce à son frère, à son papi, son chat Aladin, sa copine Loulou et Balthazar Sorel, rejeté comme elle, en raison de sa précocité et de son désintérêt pour le foot. Un récit original, plein de fantaisie et d’humour, qui joue avec les mots tout en exposant les difficultés liées à la dyslexie, illustré de façon rigolote. La fin se veut optimiste : Ambre a retrouvé confiance en elle, pris du recul et surtout, en CM2, elle retourne dans son ancienne école avec une maitresse merveilleuse, Mathilde Muss, qui évalue les dictées différemment et fait rédiger des textes libres !

Les Mondes Roms, Olivier Peyroux/Marie Mignot, Gallimard Jeunesse, 2022.

Après avoir balayé sur plusieurs siècles l’histoire des Roms, heureuse ou tragique, l’auteur aborde ce qui constitue leur identité et leur culture à travers les moments forts de leur vie. Autant de révélations pour la plupart des lecteurs qui découvriront à quel point leurs connaissances sont éloignées de la vérité. Saluons donc la parution de ce documentaire qui vient combler l’absence d’ouvrage sur des populations aussi diverses (d’où le titre) que méconnues et ostracisées. L’auteur, sociologue devenu spécialiste du sujet et connaissant bien le terrain, réussit à déconstruire tous les clichés et stéréotypes dont sont victimes ceux qui durant les derniers siècles sont devenus des boucs émissaires. Les illustrations abondantes, justes et colorées, soutiennent et renforcent un propos humaniste s’adressant aussi bien aux enfants qu’aux adultes, les invitant à une authentique rencontre avec les Roms. Pour aller plus loin : quelques ressources en fin d’ouvrage.

 

FICTIONS

Les écrans, c’est pour les grands ! Flore Brunelet et Brunelet, « Les années crèche », Père Castor, Flammarion, 2022.

Le petit narrateur voudrait bien regarder la télévision, jouer avec la tablette ou le téléphone qui le fascinent. Il ne comprend pas pourquoi ses parents les utilisent sans arrêt mais lui en interdisent l’accès. Le docteur lui explique alors comment grandir et rester en bonne santé : « bien dormir et bien manger » mais surtout « jouer, courir, imaginer », toutes choses « que les écrans ne peuvent remplacer ». Il faut croire que le médecin s’est montré très convaincant puisque, ensuite, les parents sont sommés de jouer avec leur fiston qui a caché tous les écrans ! Petit album aux illustrations douces et rigolotes valorisant la règle des 3-6-9-12, proposée par Serge Tisseron, concernant l’usage progressif des écrans à partir de trois ans. Flore Brunelet enfonce le clou en s’adressant aux parents en fin d’ouvrage.
Cette collection, conçue à quatre mains par une fille psychologue et sa mère, illustratrice, conviendra également aux classes de maternelles, voire élémentaires. Elle comporte déjà huit titres abordant, entre autres, le sommeil, l’alimentation ou les relations avec la fratrie…

L’Étranger, Chris Van Allsburg, traduit par Christiane Duchesne, D’eux, 2022.

Écrit en 1986, cet album était resté inédit en France ; on saura donc gré à cette maison québécoise de nous l’avoir rendu accessible, tant on prend plaisir à retrouver l’univers onirique de l’auteur-illustrateur. Recueilli par la famille du fermier Bailey, un homme mystérieux semble amnésique, mais s’intègre parfaitement, aide la famille et se montre sensible aux animaux et à la nature qu’il semble influencer par sa présence. Néanmoins, le héros de cette histoire poétique restera à jamais un étranger, tant pour ses hôtes que pour le lecteur. Il repart en effet aussi mystérieusement qu’il était arrivé, non sans avoir contribué à modifier subtilement, de façon cyclique, le paysage et le climat alentour. Magnifiquement illustrée par des pastels lumineux, cette fable (météorologique ?) suscitera sans doute de multiples interprétations.

Monstres, Stéphane Servant et Nicolas Zouliamis, Thierry Magnier, 2023.

Le monstre n’est pas toujours celui que l’on croit… Ceux qui ont lu Safari de Yak rivais, Des goûts et des couleurs de Jacqueline Osterath, Personne déplacée de Michel Perrin, Les monstres de Robert Scheckley ou Niourk de Stefan Wül le savent bien : tout est affaire de point de vue, et quand on inverse celui-ci, l’humain, celui qui nous ressemble, devient un monstre au sens propre aux yeux d’autres êtres vivants ! C’est le cas dans ce magnifique roman illustré de dessins en noir et blanc qui évoquent, pour certains d’entre eux, ceux de Chris Van Allsburg. Un cirque ambulant arrive un jour dans le village isolé du jeune narrateur. Les habitants sont invités à venir assister au spectacle dont le clou est une bête terrifiante, « le survivant d’un peuple primitif », le monstre d’Érêves, qui n’est autre… qu’un enfant humain face à un public de monstres (vivant la nuit et dormant le jour) ! Otto, qui se sent différent de Max et de sa bande, car il est plus doux, plus sensible à la beauté, moins « monstrueux » avec sa tête de chat, se lie d’amitié avec Otto (son double ?) dont l’histoire (un déménagement, les disputes parentales, une fugue, un naufrage, la capture…) n’est racontée qu’en images et à travers les chants qu’il fredonne. Il faudra sans nul doute plusieurs lectures pour saisir toutes les allusions du texte et surtout des images. Un très bel objet livre donnant lieu à de multiples interprétations et qui ravive en nous le souvenir de Max et les Maximonstres de Maurice Sendak.

 Vous retiendrez mon nom, Fanny Abadie, Syros, 2022.

Une belle jeune fille de 17 ans, que tous admirent dans la cité, est agressée puis tuée. C’est Karim, un lycéen kabyle de sa classe, qui découvre le corps de Zineb, sœur de son ami Hamza. Profondément perturbé, il l’est davantage encore quand son ami Sublime, jeune migrant mineur isolé, disparait après lui avoir laissé ce qui pourrait être considéré comme une preuve de son implication dans le meurtre. Convaincu que Sublime est innocent, Karim n’a plus désormais qu’une idée en tête : découvrir qui a tué Zineb et surtout pour quelle raison. Nous suivons donc pas à pas l’enquête du narrateur, lequel évolue au fil de ses découvertes, en comprenant notamment que les personnes de son entourage sont différentes de ce qu’il en connait, qu’elles ont des secrets, des rêves, voire une vie parallèle dont il ignorait tout ! Sous ses apparences de jeune fille modèle, dont le mariage était déjà arrangé, Zineb avait commencé à s’émanciper, sans que ses frères ainés, Icham et Rayan, ni Malika sa mère, n’en sachent rien ; ses amies Joyce (l’ex de Karim) et Khedima mentent tant et plus, ne méritant sans doute pas le qualificatif de « meilleures amies » ; Hamza ne parle que de vengeance et se procure un pistolet auprès de Momo le caïd du quartier ; la nouvelle commissaire Mesronces ne ressemble pas aux flics peu empathiques qu’il connait et dont il se tient à distance. Même son père, ainsi que sa mère qui a quitté la maison sans crier gare, lui apparaitront sous un jour nouveau… Bref, Karim va devoir réviser ses jugements et faire des choix. L’auteur connait bien le monde des adolescents avec lesquels elle travaille depuis 20 ans, ce qui donne une authenticité certaine aux personnages qu’elle met en scène, tant dans leurs comportements que dans leur langage, très familier et argotique. Cependant, Karim, réputé intelligent, est capable d’adapter son registre, si bien que sa narration, même si elle est émaillée de quelques familiarités ou traces d’oralité, reste assez soutenue dans l’ensemble. Quant aux textes que Zineb slame en secret, ils sont tout simplement magnifiques… Il s’agit donc d’un polar plutôt bien mené, se passant dans un quartier populaire de cité, prompt à l’embrasement, où tous se connaissent, s’épient et obéissent à des codes ; où règnent les trafics et le racisme, mais également la solidarité face au deuil, comme en témoignent la chaleur dont ses voisines entourent Malika, la manifestation organisée par Hamza ou le recueillement de tous lors de l’enterrement de Zineb. Un lieu également où des adultes se dépensent sans compter auprès des jeunes, telle madame Breteau, la professeure de français qui encourage et soutient Zineb ou l’ancien boxeur devenu coach, Driss, ayant pris Sublime sous son aile et poussant Karim à se monter ambitieux en intégrant le Pôle France de boxe. La fin pourra laisser perplexe tant elle est ouverte : grâce notamment à Bouli, le plus jeune frère de Zineb, Karim détient enfin la vérité et des preuves, mais ignore ce qu’il va en faire !

Amour(s), Tess Alexandre/Camille Deschiens, Les Éditions des Éléphants, 2022.

Ce recueil de treize nouvelles pourrait être le pendant fictif du documentaire Histoires d’amour, présenté plus haut. Remarquablement complétés par des illustrations douces réalisées aux crayons de couleur, ces textes courts mais vibrants, mettent en scène des filles et des garçons confrontés aux premières amours, pas toujours celles attendues par eux-mêmes, leur entourage ou la société, ce qui génère interrogations, mal-être ou rejet. Comment accepter et faire accepter, sans être jugé ni harcelé, qu’on aime quelqu’un du même sexe (Imane, Rebecca, Marco, Solal), voire les deux (Thélio) ? Comment gérer une certaine a-sexualité (Cléo), le fait d’être déçue par sa première fois (Nine), de ressentir une jalousie exacerbée (Safia), de vouloir un enfant seule (Maïa), d’être amoureuse « d’un petit bourge blanc » (Fatia), de rencontrer enfin celle qu’on a connue virtuellement (Joshua) ? Comment prendre le risque d’avouer à celle qu’on aime qu’on est né fille mais qu’on se vit garçon (Jo) ? Chaque nouvelle porte le titre du personnage qui s’interroge, souffre, évolue, prend des décisions, sauf deux qui concernent des proches : « Lisa », qui aime Thélio qui aime aussi Léon et « Gaël », père qui réagit mal à l’annonce de la bisexualité de son fils (Thélio). La diversité des situations évoquées devrait permettre aux adolescents de se rassurer quant à leurs questionnements, de s’identifier ou de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent confusément ou n’osent s’avouer. L’entourage (parents, camarades) réagit parfois vivement, manifestant son incompréhension voire sa désapprobation, mais également son soutien ; les ami·e·s sont à l’écoute (Juliane pour Nine, Nour pour Safia, Marco pour Solal) et finalement chacun·e dépasse les affres et assume ses désirs. Un ouvrage inclusif et optimiste donc, à conseiller aux collégiens les plus âgés et aux lycéens.

Scarlett et Novak, Alain Damasio, Rageot, 2021.

Connu notamment pour ses dystopies politiques, l’auteur s’adresse pour la première fois aux adolescents à travers ce court récit d’une cinquantaine de pages, destiné à illustrer les conséquences de l’utilisation constante et unique du « brightphone », équivalent futuriste de nos smartphones actuels. Novak est un jeune homme complètement inféodé à Scarlett[1], IA qui l’assiste en tout ! Sauf qu’elle ne réussira pas à empêcher l’agression de Novak ni le vol du précieux appareil, ce qui laisse son propriétaire totalement démuni, incapable de s’orienter ou de communiquer avec sa concierge croate avec laquelle il a toujours parlé via Gapple Translate ! Une fois sorti d’affaire, il a retenu la leçon et regarde autour de lui plutôt que son écran. Après cet épilogue dont on espère qu’il fera école, l’auteur a rédigé un très beau texte slamé intitulé « Une vie passée à caresser une vitre » qui interpelle l’utilisateur piégé dans de multiples paradoxes. Situé dans un futur peut-être pas si lointain, cette nouvelle et l’apostrophe finale semblent idéales pour lancer des débats (sans doute très vifs !) avec les élèves.

[1] Ceux qui l’ont vu penseront bien sûr au film Her de Spike Jonze, (2013) dans lequel Scarlett Johansson prête sa voix à l’IA Samantha dont l’écrivain Théodore tombe amoureux.

Nouveautés en matière d’éditions et de collections

CHATTYCAT

Créée en 2016, cette maison d’édition, découverte à l’occasion de la lecture du roman présenté ci-dessous, propose des fictions pleines d’aventures, parfois avec des personnages récurrents, dont la particularité est de passer naturellement du français à l’anglais, à l’instar de la collection « Tip Tongue » chez Syros par exemple. Classées par catégorie d’âge (3-6, 6-8, 8-10 et 10 +), les histoires visent également une découverte culturelle et historique du monde anglophone. Certains ouvrages sont complétés par des jeux, activités, chronologies historiques, carnets de voyage, voire une version audio…

L’Énigme Chad Cooper, Marc Victor, 2022.

Destinée aux lecteurs plus âgés (collégiens, niveau A1, anglais débutant), voici un roman d’espionnage enlevé, non dénué d’humour, narré par Gabrielle, l’une des protagonistes, cinq ans après les faits. Lors d’un concours d’anglais à Paris, la collégienne bretonne fait la connaissance d’Augustin Pliche, Parisien, et de Gaspard Fleury, Toulousain, qui se révéleront être deux frères jumeaux américains, adoptés par deux familles différentes à l’âge de cinq ans ! À l’initiative d’Augustin, bien décidé à retrouver leurs parents biologiques qui n’ont apparemment jamais cherché à les retrouver, les trois amis vont se lancer dans une aventure hors norme pleine de rebondissements et de dangers ; de Toronto à Washington, poursuivis à la fois par la mafia italienne et des agents de la CIA, il leur faudra beaucoup de mensonges, d’astuce, de solidarité et de chance pour parvenir à leurs fins tout en scellant une amitié (voire davantage pour Gabrielle et Gaspard…) à toute épreuve. Bien que la langue française domine, il faudra quand même un niveau minimal pour comprendre les répliques anglaises (non traduites), sans que le sens général de cette aventure trépidante n’en souffre pour autant. En revanche, le début de l’intrigue, comme l’indique Gabrielle elle-même, pourra sembler complexe à certains lecteurs en raison d’une chronologie bouleversée.

GALLIMARD JEUNESSE GIBOULÉES

Anne Sibran et Émilie Angebault mettent en scène Magda, une petite taupe, dans une nouvelle série d’albums qui comporte deux titres pour l’instant : Magda, le petit monde de la mare et Magda au grand jour, 2022. Ces deux fictions, bien documentées, célèbrent la poésie de la nature et la beauté du monde à travers l’interaction utile et nécessaire de deux mondes, celui d’en bas et celui d’en haut. Jolis dessins très précis, foisonnants de détails justes et rigolos, envahissant une double page qui se replie, à la fin. De quoi changer la vision des taupes et des animaux du monde souterrain !

 

PÈRE CASTOR/FLAMMARION JEUNESSE

« Les Petites Lumières » est une nouvelle collection d’albums (2022) imaginés par Chiara Pastorini et illustrés par Annick Masson. Ces fictions abordent les grandes questions « philosophiques » que les petits se posent très naturellement dès l’âge de 3-4 ans. Marcello en est le héros récurrent. Agé de 5 ans, il « habite une grande maison avec sa maman, Pablo et Michette, son lapin aux oreilles toutes douces ». Dans Le Goût de la vie, le petit garçon, pourtant caractérisé par sa joie de vivre, s’effraie soudain à l’idée qu’un jour, sa mère ne soit plus là ; son angoisse subsiste, tout devient gris autour de lui et il finit par nommer sa peur qu’un jour sa mère ne meure. Celle-ci ne nie pas cette évidence mais trouve les mots qui apaisent son petit garçon en évoquant les métamorphoses des arbres qui perdent leurs feuilles pour mieux les voir renaitre au printemps, sans compter qu’elle a encore du temps devant elle, que la vie se perpétue de génération en génération et que ceux qu’on aime restent à jamais dans notre cœur. Marcello sent enfin son nœud intérieur se défaire et retrouve son appétit ! Un deuxième titre, Léger comme un papillon traite de la vérité et du mensonge. Des albums aux illustrations fines et douces qui aideront les adultes à dialoguer avec les enfants.

Françoise Rachmuhl met la mythologie à la portée des élèves de l’école élémentaire grâce aux portraits de héros tels Antigone, Thésée, Héraclès, Démeter ou Ulysse. Moins de 100 pages, au format poche, à petit prix. 2022.

 

POCKET JEUNESSE

Liz et Grimm : imaginés par Christophe Guignement et Audrey Siourd, adaptés par Nicolas Chandemerle, il s’agit de contes revisités dont l’original est proposé en fin d’ouvrage. Deux titres au format papier, Le Petit Chaperon bleu et Stridouille, le Super Vilain Petit Canard, disponibles également en audio chez LIZZIE. Les titres suivants ne sont apparemment disponibles qu’en audio. Face aux problèmes rencontrés par Liz (utilisation d’internet, moqueries des camarades), Grimm, son chat, lui raconte la rencontre sur internet d’Adèle Chaperon avec LoulouFricoto, loin d’être celui qu’il prétend ou l’histoire de Stridouille qui rêvait de devenir chanteur malgré sa drôle de voix. Petits textes faciles pour aborder et tenter de dédramatiser les petits et grands tracas des jeunes.

Hélène Brisou-Pellen raconte « L’enfance des héros » dans une nouvelle collection du même titre : au programme pour commencer, Persée, Héraclès : pas simple d’être un héros ! 2022.

LA MARTINIÈRE JEUNESSE

Afin de renouveler ses anciennes collections « Hydrogène » et « Oxygène » devenues obsolètes, l’éditeur lance une nouvelle collection baptisée « Alt », à destination des 15-25 ans, sous forme d’essais engagés, courts mais percutants, rédigés par des spécialistes de la question problématisée. Il s’agit d’inviter les jeunes à une autre forme de lecture, à prendre le temps de la réflexion et du recul par rapport aux réseaux sociaux.

A-t-on le droit de changer d’avis ?, Blandine Rinkel ; Avorter, un droit en danger ?, Ghada Hatem ; S’informer, à quoi bon ?, Bruno Patino, 2023. Ce sont les trois premiers titres qui seront suivis d’une dizaine d’autres (écologie, féminisme…). Petit format, prix modique (3,50 euros), 30 pages.

Sans entrer dans le détail, je signale certains nouveaux titres de collections déjà présentées ou évoquées au sein d’autres chroniques.

Ainsi chez « Philophile Giboulées », Gallimard Jeunesse, 2022, Ai-je vraiment du mérite ? Aïda N’Diaye/Jochen Gerner, aborde les notions de méritocratie, transfuges, inégalités, égalité des chances, mobilité sociale. Mais qu’est-ce que tu imagines ? Aurélien Robert/Thibaut Rassat aborde celles dimaginaire, de réalité, de liberté, de création, d’écrans, de rêve, de désobéissance, de fiction, d’émotions, d’identification. Est-ce que tu sais ou est-ce que tu crois ? Camille Riquier/Quentin Duckit, traite quant à lui d’internet, de religion, de société et de science et Qu’est-ce qui fait mon genre ? Aïda N’Diaye/Léa Murawiec du corps humain, de l’identité, de philosophie, de sexualité, de société.

 

Chez « Mine de rien », Gallimard Jeunesse Giboulées, 2022, Catherine Dolto et Colline Faure-Poirée/Robin dans Qui commande ? et Interdits dans la famille continuent de mettre en mots et en images les interrogations et les émotions des enfants, afin de les rassurer et de les aider à grandir.

DES NOUVELLES DES RÉSEAUX DÉJÀ PRÉSENTÉS

EXILS ET MIGRATIONS

Kissou, Angèle Delaunois, illustrations de Jean-Claude Alphen, D’eux, 2020.

Dédié « à tous les petits qui ont dû abandonner leurs rêves en cours de route », ce petit album évoque avec une justesse remarquable la fuite d’Amina et de sa maman face à la guerre. Ne sachant pas où se trouve l’homme de la famille parti combattre, elles s’enfuient en laissant tout derrière elles, sans espoir de retour. Amina s’accroche à Kissou, son fidèle doudou. La petite fille va connaitre le parcours semé d’embûches et de vicissitudes vécu par tous les réfugiés. Pire, au moment où Amina est secourue en mer, elle perd Kissou, l’ami de toujours qui lui avait permis de tout surmonter. Grâce à un bénévole compatissant, le destin de l’ourson bleu sera de consoler, si possible, Naïm, un autre petit exilé handicapé, seul parmi des milliers de réfugiés. Remarquable de concision tant dans le texte que les illustrations, ce récit simple et émouvant, abordable dès la maternelle évoque, sans pathos, une tragique réalité, très actuelle.

Le Garçon au fond de la classe, Onjali Q. Rauf, traduit de l’anglais par Marie Leymarie, illustrations de Pippa Curnick, Folio Junior, 2022.

Parution récente en poche de ce très beau roman rédigé à la première personne par une narratrice empathique de 9 ans. Quand elle comprend qu’Ahmet ne parle pas, ne sourit pas et n’aime pas les bonbons parce qu’il a fui la guerre en Syrie, Alexa décide de l’aider en mettant ses amis Josie, Michael et Tom dans le coup. Séparé de ses parents et de sa petite sœur, morte au cours du trajet, Ahmet a été placé en famille d’accueil à Londres. Ses nouveaux amis vont se mobiliser pour le défendre contre le racisme ambiant et l’aider à retrouver ses parents, quitte à vivre des aventures rocambolesques. Une narration à hauteur d’enfant, naïve et sincère, un roman sensible et optimiste rempli d’humour, malgré la gravité des faits évoqués.

 

RÉÉDITIONS OU PARUTIONS AU FORMAT DE POCHE DE TITRES DÉJÀ ÉVOQUÉS (ou pas, d’ailleurs…)

Aux éditions Casterman

Flora Banks, E. Barr, traduit de l’anglais par Julie Sibony, 2022.

Bonne nouvelle que la parution en poche de ce roman très original. Flora, la narratrice âgée de 17 ans, souffre d’amnésie depuis une opération au cerveau subie sept ans plus tôt. Oubliant tout au bout de deux heures, elle déploie une énergie considérable à tout noter sur un cahier, des petits papiers voire ses bras ! Tout à coup, un souvenir perdure : Drake (le petit copain de sa meilleure amie Paige) l’a embrassée… Comme il vient de partir pour le Spitzberg, Flora, convaincue qu’il possède la clé de sa guérison, décide de quitter son environnement familier pour le rejoindre. L’auteure joue habilement le jeu du point de vue d’une jeune fille courageuse et attachante, mais naïve, soutenue par son frère Jacob et couvée, voire étouffée, par ses parents. Le lecteur n’en sait pas plus que l’héroïne, « piétine » et régresse avec elle, ce qui peut parfois le dérouter, mais le suspense le maintient en haleine ; malgré son handicap et sa différence, Flora grandit et apprend, sans être épargnée, loin de là… Fin ouverte et pleine d’espoir. Devrait intéresser les plus âgés des collégiens.

Aux éditions Gallimard Jeunesse

La Trilogie de la poussière, tome 2 : « La Communauté des esprits », Philip Pullman, traduit de l’anglais par Jean Esch, Folio Junior et Folio, 2022.

Suite des aventures de Lyra, l’héroïne de l’envoutante première trilogie de l’auteur (À la croisée des mondes). Le premier tome, sorti en 2017, est paru en Folio Junior en 2020. Voici donc le suivant, que nous avions attendu trois ans, enfin publié en poche  ! Comme je l’avais indiqué à l’époque, l’auteur a déconstruit la chronologie puisque dans le premier tome, Lyra était un bébé sauvé par un garçon de onze ans, Malcolm Polstead, aidé d’Alice. Dans ce deuxième opus situé vingt ans plus tard, Lyra étudie au collège Sainte Sophia, elle est proche du professeur Hannah Relf et de la gouvernante Madame Lonsdale, prénommée Alice, dont Lyra ignore encore le rôle qu’elle a joué autrefois avec Malcolm, devenu lui, son professeur. Influencée par ses lectures scientifiques, elle se dispute de plus en plus souvent avec Pantalaimon ; ce dernier ayant assisté à un meurtre, tous deux se lancent dans une enquête parsemée d’embûches qui les mènera jusqu’en Asie. Il serait vain d’essayer de résumer toutes les péripéties complexes de ce tome dont les fils seront reliés, espérons-le, dans le troisième… On retrouve dans cet opus de nombreux personnages, bons ou malfaisants, rencontrés précédemment ; les manœuvres du Magisterium et du « Conseil de Discipline Consistorial », contre lequel luttent les membres d’« Oakley street » soutenant Lyra, sont toujours aussi retorses et dangereuses pour elle. Les mondes imaginaires créés par l’auteur n’ont jamais été aussi proches d’une réalité contemporaine peu reluisante : fanatisme religieux, terrorisme, trafics d’êtres humains, rejet des migrants, oppression et agressions des femmes, de nombreux épisodes rendent donc ce tome sombre et violent. Séparée une nouvelle fois de Pantalaimon, parti à la recherche d’une cité où vivraient des daemons sans leur humain, Lyra a entamé un voyage initiatique dont on se demande quelle sera l’issue.

L’Ickabog, JFK Rowling, traduit de l’anglais par Clémentine Beauvais, Folio Junior, 2022.

Le roi Fred Sans Effroi règne sur un petit royaume où il fait bon vivre, la Cornucopia. Mais un jour, l’Ickabog, monstre sanguinaire légendaire vivant dans les marais du nord, vient perturber le bonheur de tous. Il faudra le courage de deux adolescents, Daisy et Bert, pour faire éclater la vérité au grand jour. Deux conseilleurs sans scrupules du roi, peu éclairé et dominé par ses peurs, n’ont pas hésité à manipuler les foules et à faire régner la terreur pour s’enrichir. Une fable politique qui dénonce les dérives du pouvoir et les mensonges grâce à l’instrumentalisation d’une légende.

Les Crimes de Grindelwald, JFK Rowling, traduit de l’anglais par Clémentine Beauvais, Folio Junior, 2022.

Présenté dans Hiver 2018-2019. Reste à attendre la parution au format poche du texte du troisième film, Les secrets de Dumbledore (2022).

Demandez-leur la lune, Isabelle Pandazopoulos, « Pôle Fiction », 2022.

Lilou Vauzelles, Samantha Berthier, Bastien Maheux et Farouk Yldirim : ces quatre adolescents très différents, ont cependant en commun un vécu difficile et une situation d’échec scolaire ; ils vivent dans « la diagonale du vide » (culturel, électronique…), tentent de se construire comme ils le peuvent et surtout n’ont pas les mots. La chance leur sourira en la personne d’une jeune professeure de français passionnée, Agathe Bertin. Elle va les soutenir, au sens propre, en les initiant à l’éloquence, en leur faisant faire du théâtre et en les inscrivant à un concours d’éloquence : grâce à la lecture, à la parole et au jeu, ils vont retrouver confiance en eux et accepter de se tourner vers un avenir qu’ils croyaient sombre. A travers ce portrait d’enseignante, l’auteure, s’appuyant sur une expérience de terrain solide, rend hommage à celles et ceux ayant un jour marqué, inspiré et enthousiasmé leurs élèves. Mais surtout, elle affirme et prouve que ces jeunes, orientés en lycée professionnel, sont capables de se mobiliser et d’évoluer, pour peu qu’on croie en eux et qu’on leur donne les moyens d’avoir des ambitions.

L’Année de grâce, Kim Liggett, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Peronny, Pôle Fiction, 2022.

Cette « année de grâce » porte bien mal son nom, puisqu’il s’agit pour toutes les jeunes filles âgées de 16 ans de vivre, ou plutôt de survivre, isolées dans un camp sommaire au milieu de la forêt, après avoir été, éventuellement, choisies par un futur époux auquel elles seront ensuite inféodées. L’ennemi est à l’extérieur, des braconniers qui tireront profit de leur capture et du dépeçage de leur corps, mais également à l’intérieur car, plutôt que la solidarité, c’est la zizanie, les jalousies, la mesquinerie et la violence qui prédominent entre jeunes femmes ! Cette société, dominée par un patriarcat religieux obscurantiste, essaie donc de brider et de soumettre les femmes : elles doivent ainsi perdre leur « magie », entendez tous leurs pouvoirs, pouvoirs de séduction, certes, mais pas seulement ; durant cette année, dont personne ne parle et surtout pas celles qui en sont revenues, il s’agit ainsi de les briser afin de les rendre dociles. À travers les yeux de Tierney, le lecteur va donc vivre ce calvaire pour lequel elle a sans doute été bien préparée, à son insu, par sa famille. Indépendante, déterminée, mais souvent impulsive et parfois très naïve, Tierney sortira grandie de cette épreuve et perpétuera une lignée de femmes bien décidées à se libérer de l’oppression. Les citations de Margaret Atwood (La Servante écarlate) et de William Golding (Sa Majesté des Mouches) disent assez de qui l’auteure s’est inspirée pour imaginer ce monde archaïque, misogyne et totalitaire (délation, exécutions publiques…), sans pour autant m’avoir autant passionnée que ses prédécesseurs. C’est peut-être une question de traduction, mais, de mon point de vue, trop d’éléments restent implicites ou peu clairs.

Hôtel Castellana, Ruta Sepetys, traduit de l’anglais (États-Unis) par Faustina Fiore, Pôle Fiction et Folio, 2022.

Tout sépare Ana Torres Moreno, fille de républicains espagnols assassinés par les franquistes et Daniel Matheson, jeune héritier texan, qui a pourtant, par sa mère, du sang espagnol dans les veines. Ana travaille à l’hôtel Castellana de Madrid où Daniel séjourne avec sa famille : elle doit se mettre à leur service. Davantage passionné par la photographie que par le pétrole, le jeune homme découvre peu à peu la sombre réalité d’un pays soumis à la dictature, Ana lui servant de guide. Il ne mesure pas à quel point les habitants sont muselés, pauvres et pour certains, comme Ana et ses proches, en danger au moindre faux pas. Il serait vain de vouloir résumer de façon exhaustive ce roman passionnant dont l’intrigue fictive se déroule essentiellement en 1957 pour se terminer en 1975, à la mort de Franco. Extrêmement bien documenté, le récit, rédigé au présent, met en scène autour des deux héros de nombreux personnages attachants, souvent complexes, et parfois répugnants, enferrés dans le silence, les secrets et les mensonges. Il fera découvrir aux lecteurs tout un pan de l’histoire espagnole, à savoir les conséquences de la guerre civile perdue par les républicains : un dictateur prend le pouvoir et autorise, entre autres, de terribles massacres ainsi qu’un scandale qui ne devait éclater que très tardivement : le vol à leurs parents (pauvres et/ou républicains) de plus de 300 000 bébés, vendus à des familles censées leur donner une « bonne éducation chrétienne »… Toutes les clés de contextualisation historique (images d’archives, explications de l’auteure, glossaire, bibliographie) sont fournies au lecteur en fin d’ouvrage.

Eon et le douzième dragon, Eona et le collier des Dieux, A. Goodman, traduit de l’anglais par P. Giraudon, « Pôle Fiction », 2022 et 2023.

Présentés dans le numéro 55 de Recherches (2011), réseau « Filles-Garçons ».

Aux éditions PKJ

Traquées !, Sandrine Beau, 2021.

Poursuivies par un ancien complice de leur père, bien décidé à récupérer un butin lui ayant échappé, Annabelle, 14 ans, et Marjolaine, 5 ans, devront leur salut à leur débrouillardise et à l’aide de bonnes âmes croisées durant les trois jours de leur folle cavale ! Suspense et frayeurs garantis pour ce polar, sur les invraisemblances duquel les jeunes lecteurs passeront allégrement. La narration d’Annabelle à la première personne est entrecoupée par les interventions du méchant tueur ainsi que par les dépositions des personnes ayant rencontré les filles, ce qui permet aux lecteurs de comprendre l’origine de cette affaire et surtout de rassurer les anxieux : la gendarmerie enquête ! Un récit qui pourrait intégrer un réseau « Narration complexe ».

 Les Fabuleuses Aventures d’Aurore, Douglas Kennedy/Joann Sfar, traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Nabokov, « Best Seller », 2022.

Saluons la parution en poche du premier roman pour la jeunesse de cet écrivain célèbre qui collabore, pour les illustrations, avec l’auteur bien connu du « Petit Vampire » et du « Chat du rabbin ». Et ce d’autant plus qu’il aborde, pour les plus jeunes, le sujet des troubles du spectre autistique (TSA). Aurore, la narratrice âgée de 11 ans, ne parle pas mais, grâce aux encouragements de Josiane, sa prof particulière, elle communique à toute vitesse grâce à sa tablette. Être atteinte d’un TSA ne bride pas sa joie de vivre ni son intelligence, sans compter qu’elle possède un don hors norme consistant à percevoir les pensées des gens : pouvoir magique ou métaphore d’une hyper sensibilité ? Au lecteur de trancher ! Toujours est-il que l’héroïne met son trouble au service des autres. En effet, lorsque Lucie, la meilleure amie de sa grande sœur Émilie, disparait, Aurore décide d’apporter son concours à l’inspecteur chargé de l’enquête. Ce petit roman met en valeur les différences et prône leur respect, qu’il s’agisse d’Aurore et de sa manière d’aborder les choses ou de Lucie, génie des maths mal dans sa peau et harcelée en raison de son poids. L’auteur, lui-même père d’un garçon atteint de TSA, a choisi de brosser le portrait d’une préadolescente vivant de nos jours à Fontenay sous Bois, avec sa mère employée dans une banque, alors que son Pap’ adoré, écrivain, vit à Paris. Confrontée aux réalités contemporaines (séparation des parents, famille recomposée, grande sœur en pleine crise d’adolescence, harcèlement scolaire, maltraitance), Aurore, en dépit de sa naïveté, perçoit avec acuité la souffrance et les problèmes de son entourage qu’elle s’efforce d’aider.
Deux autres tomes, Aurore et le mystère de la chambre secrète puis Aurore et l’incroyable énigme de New York sont parus en grand format (2020 et 2022).
Dans ce deuxième opus, Aurore, qui fréquente l’école pour la première fois, est victime de harcèlement de la part d’Anaïs et de sa bande. L’inspecteur Jouvet lui confie une nouvelle enquête… Dans le troisième, elle séjourne à New York avec Diane, sa nouvelle prof. Elle va devoir collaborer avec la police locale pour retrouver son ami Bobby qui a disparu…

La mémoire des couleurs, Stéphane Michaka, 2022.

Présenté dans Automne-hiver 2018-2019.

 

Réseaux, tomes 1 et 2, Vincent Villeminot, 2022.

Présentés dans Recherches n° 62, 2015.

20 allée de la danse, Tomes 1 à 5, Élizabeth Barféty, illustré par Magali Fournier, « Best seller » 2022.

Présentés dans Automne-hiver 2016 .

Le Jeu du maitre (Tome 3) : Fin de partie, James Dashner, traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume Fournier, Best Seller, 2023.

Suite et fin des aventures de Michael (présentées en 2021) et de ses amis au sein du VirNet. Arriveront-ils à déjouer les plans machiavéliques de Kaine ou la cyberdomination va-t-elle triompher ? Approche romancée des dangers de la réalité virtuelle et de l’intelligence artificielle au programme !

Aux éditions Thierry Magnier

La soupe aux amandes, Sylvie Deshors, Petite Poche, 2022.

Présenté dans Recherches n° 68, 2018, réseau « Exil et migrations ».

 

 

Je terminerai en mentionnant un ouvrage consacré par Marie Lallouet à « Gallimard Jeunesse », paru chez ce même éditeur : Cinquante ans de la vie d’un éditeur dans l’histoire de la littérature jeunesse en France, 2022. Il est impossible de résumer cette somme, qui en 12 chapitres, tente de brosser le panorama de 50 années consacrées à l’édition jeunesse. Abondamment illustré et fort bien documenté, ce pavé aborde tout ce qui a contribué à créer et nourrir le catalogue d’une maison d’édition indépendante, soucieuse de qualité et d’innovation, qu’il s’agisse des auteurs, des illustrateurs, des sujets, des genres, des collections, des formats ou des métiers de l’édition…