Les coups de cœur d’Élizabeth Vlieghe – 2022

DOCUMENTAIRES

Petit mais écolo !, Justine de Lagausie et Aurélie Guillery, « Mes imagiers tout carrés », Casterman, 2021.

30 gestes quotidiens extrêmement faciles à mettre en œuvre dès le plus jeune âge afin de ne pas gaspiller les ressources ni polluer, histoire de prendre de bonnes habitudes. Format très maniable, pages en carton épais, illustrations explicites pour les plus petits à qui on fera la lecture mais qui pourront également deviner de quel geste il est question.

Consommation : le guide de l’anti-manipulation en BD, Guillemette Faure et Adrienne Barman, Casterman, 2020.

Le titre annonce la couleur : voilà un ouvrage qui devrait permettre à tous de dépenser moins d’argent ou, en tout cas, de ne plus se laisser piéger par les « bonnes affaires » ! Anna, César, Sammy et Simone participent à un vide-grenier afin de vendre les jouets dont ils ne veulent plus. À cette occasion, M. Ristourne, le propriétaire du bazar « L’indispensable superflu », va leur dévoiler tous les dessous de la consommation de masse, l’ingéniosité des publicitaires au service des marques, bref, leur décrire toutes les manipulations mises en œuvre afin de faire acheter toujours plus. Grâce aux 22 astuces destinées à rester vigilants, nos jeunes amis et les lecteurs deviendront, espérons-le, des consommateurs avertis, donc moins naïfs, et surtout responsables ! Une bande dessinée à mettre entre toutes les mains dès la fin de l’école élémentaire et qui restera d’actualité bien plus tard…

L’Économie en BD, Jézabel Couppey-Soubeyran et Auriane Bui, Casterman, 2020.

Juliette, la mère de Zoé, est au chômage depuis un an, car la banque où elle travaillait a fait l’objet de « restructurations »… La collégienne de 12 ans voudrait l’aider, ce qui va l’amener à dialoguer avec sa voisine, Madame Robinson, professeur d’économie à la retraite, ainsi qu’avec ses copains, d’origines sociales et géographiques diverses. À travers de multiples saynètes très concrètes de la vie quotidienne, de nombreux aspects de l’économie sont ainsi abordés, le plus simplement possible, même si certains thèmes restent complexes (PIB, marchés financiers, monnaies, mondialisation, loi du marché… ). Zoé mesure mieux ce que sont les inégalités, d’où elles proviennent et à quel point lutter pour les réduire n’est pas gagné ; elle et ses amis comprennent qu’ils sont des acteurs économiques et qu’il est important de réfléchir à l’avenir de notre planète. Une bande dessinée claire et dynamique qui, malgré l’aspect didactique lié aux notions abordées (glossaire très utile en fin d’ouvrage), laisse cependant place à l’humour et à l’optimisme.

Speak up ! Utilise ta voix pour changer le monde, Laura Coryton, traduit de l’anglais par Faustina Fiore, Flammarion Jeunesse, 2020.

Comme l’indique le titre, l’ouvrage se veut un guide pratique pour aider les jeunes filles à oser prendre la parole afin de défendre les causes qui leur sont chères. Militante féministe, l’autrice (qui est entre autres connue pour avoir lancé avec succès une pétition destinée à réduire la « Tampon tax ») s’appuie sur son expérience pour délivrer pas à pas ses conseils et astuces, sans négliger d’évoquer les échecs et la manière de les surmonter. Elle insiste également, à juste titre, sur l’importance de l’estime de soi. Maquette moderne et aérée qui joue sur les polices de caractères ou l’alternance du noir et jaune, sans compter quelques illustrations stylisées. En fin d’ouvrage, index très utile des thèmes ou mots-clés évoqués. Un titre qui devrait trouver sa place dans les CDI et lecture recommandée aux garçons !

Tout sur les règles, Anne Roy/Mademoiselle Caroline, Flammarion jeunesse, 2021.

S’appuyant sur sa pratique quotidienne, l’autrice, sage-femme, a conçu un guide accessible et ludique autour d’un sujet demeurant largement tabou, alors qu’il concerne la moitié de la population. Toutes les questions que chacun, fille ou garçon, se pose, sont abordées dans un langage simple, complété par des schémas précis et des illustrations humoristiques de style BD : un groupe d’adolescentes d’aujourd’hui accompagne les lecteurs tout au long de l’ouvrage afin d’aborder « Tout sur les règles » en cinq grandes parties et 41 questions tant techniques que pratiques ou médicales. Une parution salutaire qui comble un grand vide !

Héros. 40 personnages de roman, Patricia et Jean-Philippe Arrou-Vignod/Andrew Lyons, BAM !, Gallimard Jeunesse, 2021.

Forcément subjective, cette sélection de héros littéraires, dont on pourra déplorer qu’elle ne comporte qu’un quart d’héroïnes, aura au moins le mérite de raviver le souvenir – ou de faire découvrir – des figures imaginaires fortes. Qu’ils appartiennent à la littérature destinée aux adultes (du moins à l’origine) ou à la jeunesse, tous ces personnages, devenus si célèbres qu’on les croirait vivants, sont de véritables ami·e·s qui aident à grandir, soutiennent et font rire, s’émouvoir ou rêver : ils sont présentés dans ce qu’ils ont de plus caractéristique.

Femmes au fil du temps, Katarzyna Radziwitt/Joanna Czapiewska, traduit du polonais par Martina Polek, Helvetiq, 2021.

Suivant un ordre chronologique allant de 10 000 ans avant notre ère à nos jours, ce grand album retrace, tant par le texte que par les illustrations, la vie quotidienne de femmes ordinaires, différente selon leur condition sociale. Le lecteur constatera que l’évolution de leurs droits et devoirs n’a pas été forcément linéaire : ainsi les femmes égyptiennes, au moins celles des milieux aisés, occupaient des fonctions prestigieuses et décidaient seules de leur avenir ; dans la Grèce antique, leur destin était différent selon la Cité-État dans laquelle elles vivaient : mieux valait pour elles vivre à Sparte ou à Théos qu’à Athènes ou sur l’île de Thasos… Quant à la première manifestation féministe, elle eut lieu en 216 avant notre ère, à l’initiative de Romaines qui voulaient récupérer des biens qu’on leur avait confisqués pour financer la guerre. On sait qu’au cours des siècles, de nombreux droits leur furent déniés, que leur conquête ou reconquête, évoquée dans les derniers chapitres, est récente, mais encore fragile et incomplète, ce qui aurait pu être davantage souligné, notamment en ce qui concerne de nombreux pays.

FICTIONS

La Princesse qui pue qui pète et le Prince pas très charmant, Marie Tibi, illustrations de Thierry Manes, Casterminouche, Casterman, 2021.

Le titre laisse peu de doutes sur les qualités respectives de la princesse Castille de Bonaloi et du prince Gontran de Pacotille. La première (dont les lecteurs ont pu faire la connaissance dans un premier opus La princesse qui pue qui pète (2020) a du caractère et en remontrerait aux féministes les plus radicales. Le second est un pleutre, imbu de sa personne, persuadé qu’une épouse digne de ce nom doit passer son temps à broder… Castille n’en veut point pour mari, lui préférant son ami Armand dont elle partage les jeux et le travail à la ferme, quitte à oublier son rang et à en revenir peu présentable. Il sera son prince, avec l’accord de la reine Guillemette et du roi Clotaire, car ces derniers souhaitent simplement le bonheur de leur fille. Un texte et des illustrations humoristiques, qui balaient vigoureusement les stéréotypes de genre.

Princesse Pimprenelle se marie, Brigitte Minne et Trui Chielens, Cot Cot Éditions, 2020.

Il est temps pour la princesse Pimprenelle de choisir un prétendant parmi tous ceux paradant sur leur cheval blanc. Mais aucun ne trouve grâce à ses yeux : elle préférerait choisir un cheval ! Soudain, c’est le coup de foudre pour la princesse Aliénor chevauchant son beau destrier noir. Elles deviennent inséparables, partageant gouts et valeurs ; Pimprenelle accepte alors la demande en mariage d’Aliénor, ce qui suscite indignation et paroles cruelles à la cour. Après avoir consulté la docte Sophie, ses parents, se remémorant leur propres sentiments réciproques, reconnaissent que seul l’amour compte. « Elles s’aiment, c’est l’essentiel » : l’adage fait le tour du royaume, finissant par convaincre les plus intolérants. Le conte s’achève sur la phrase rituelle, ce qui justifie ensuite une explication sur la manière dont les deux princesses auront un bébé… Un album engagé dont les illustrations impertinentes aux traits enfantins font parfois songer à Picasso ou aux peintres cubistes.

Elle sera toujours là, Thierry Lenain/Manon Gauthier, D’eux, 2021.

Publié en 2016 au Canada, ce superbe album est enfin disponible en France. Quelques phrases bâties selon une structure répétitive (« Pour me…, elle était là »), magnifiquement illustrées ou complétées par les collages délicats de l’illustratrice, rendent compte de la présence et de l’amour maternels qui perdurent au-delà du temps et de l’absence. Car rupture et deuil, il y a eu ou il y aura, comme les dernières pages le suggèrent, tant par le texte que les images. Par une subtile inversion, c’est désormais le cœur de l’enfant devenu (plus) grand qui abrite symboliquement celle qui l’a porté dans son ventre. Un album qui prouve simplement, mais de façon sensible et subtile, que l’on peut aborder la mort et le deuil dès le plus jeune âge.

 Nino, Anne Brouillard, Les éditions des éléphants, 2021.

Simon dormait dans sa poussette, ses parents admiraient les arbres de la forêt : personne n’a vu tomber le doudou Nino… sauf Lapin qui l’accueille dans son terrier. Puis c’est au tour d’Écureuil ou des mésanges noires de l’inviter à les suivre. Tout à coup, la nuit tombe : Nino est perdu, il s’inquiète. Mais Renard veille et l’emmène à la rencontre des autres animaux de la forêt avant de le reconduire à l’aube chez Lapin. Nino dort profondément jusqu’au crépuscule suivant qui lui fera retrouver son humain préféré. Autrice-illustratrice qui n’est plus à présenter, Anne Brouillard propose un album dont les illustrations (encres et aquarelles) aux couleurs sombres et chatoyantes parlent le plus souvent d’elles-mêmes, sous forme de petites ou grandes vignettes, en pleine page, voire en double page, telles celles magnifiques de Nino contemplant son village sans reconnaitre sa maison, chevauchant de nuit le renard ou saluant à la fin, bien au chaud, ses amis de la forêt. Une très belle réussite où le réel le dispute à l’imaginaire.

Le Phare, Sophie Blackall, traduit de l’anglais (États-Unis) par I. Meyer et C. Drouault, Les éditions des éléphants, 2021.

Le phare dont il est question ici voit un jour arriver un nouveau gardien qui accomplira, comme le précédent, de nombreuses tâches routinières et pourtant essentielles. Remplissant consciencieusement son journal de bord, le gardien pense à Alice, son épouse qui le rejoint bientôt et l’assiste dans son quotidien ou lors d’évènements exceptionnels. Elle le soigne et le remplace lorsqu’il est malade, il l’aide à accoucher de leur petite fille. Mais les temps changent : la machine remplace l’homme, le gardien et sa famille regagnent la terre ferme d’où ils contempleront, sans doute avec nostalgie, le phare qui continue, seul, de balayer les flots de sa lumière. L’autrice réussit à reconstituer, au fil des saisons, une vie au rythme immuable, parfois bouleversée par une tempête, un naufrage, le passage d’une baleine, l’arrivée du bateau de ravitaillement ou même d’un enfant ! Encre de Chine et aquarelle se marient dans des couleurs chatoyantes pour illustrer ce magnifique album poétique, très documenté, dont le texte, tel un calligramme, épouse parfois les évènements. Grande originalité des cadrages et des dessins, tels la coupe verticale du phare, les médaillons ronds, sans compter les surprises des dernières pages dont on peut déplier un volet. Une très belle réussite !

Esther Andersen, Timothée de Fombelle, illustrations de Irène Bonacina, Gallimard Jeunesse, 2021.

Double rencontre cruciale pour le jeune narrateur : avec la mer, mais également avec Esther, dont le nom, prédestiné, ne saurait être un hasard. Chaque été durant les vacances, il vient retrouver son oncle Angelo, un être aimant et original, qui n’achète ni ne jette rien, n’est jamais en panne d’histoires de toutes sortes et lui cuisine des nouilles au beurre. Chaque été, le jeune garçon enfourche son vélo rouge et pédale à travers les grands espaces, admirant la nature qu’il explore en allant de plus en plus loin. Jusqu’au jour où il arrive face à la mer : quelle émotion ! Laquelle redouble lorsqu’il aperçoit Esther, jeune anglaise venue sur la plage avec son petit chien. Les aquarelles délicates de l’illustratrice racontent autant que les mots à quel point cet été là sera unique et inoubliable. Tendresse et poésie sont au rendez-vous pour évoquer l’émerveillement des premières fois durant l’enfance. Superbe album au format à l’italienne dans lequel souffle un vent de liberté inouï, entre temps suspendu et temps qui transforme l’enfant et le fait grandir.

Alfonsina, reine du vélo, Joan Negrescolor, Gallimard Jeunesse, 2021.

Qui, même parmi les amateurs de cyclisme, connait le nom d’Alfonsina Strada (1891-1959) et sait de quels exploits elle fut capable ? Justice est rendue à cette pionnière que rien ne découragea, dans ce grand album aux tons jaunes/orangés/bleus/noirs s’inspirant de la vie d’une jeune femme très en avance sur son temps. « Mordue » dès qu’elle reçoit son premier vélo à 10 ans, éprise de liberté, Alfonsina participe trois ans plus tard à sa première course, qu’elle gagne ! Faisant fi des quolibets et des injures, elle s’acharne, n’hésite pas à « emprunter » les chaussures du grand-père et la casquette du facteur, se déguisant afin de participer à des courses masculines, qu’elle remporte (36 victoires !). En 1924, elle est la première femme à participer au Giro d’Italie, réservé aux hommes. Surnommée « la reine du vélo », cette sportive accomplie balaie les préjugés et sera finalement acclamée par ses anciens détracteurs. L’image de cette petite fille prenant d’assaut une immense bicyclette figurant sur la couverture restera longtemps gravée dans la mémoire du lecteur, preuve que la persévérance et la passion contribuent à la réalisation des rêves les plus fous, même quand on nait fille. Un bel exemple à suivre …

L’Âge du fond des verres, Claire Castillon, Gallimard Jeunesse, 2021.

Chantal, 56 ans, et Clément, 71 ans, feraient sans nul doute des grands-parents géniaux… Le problème pour Guilène, 10 ans et demi, c’est qu’ils sont ses parents ! Si cela ne la gênait absolument pas du temps de l’école élémentaire, tout a changé depuis son entrée en sixième. La confrontation avec les parents de ses camarades, tous jeunes et branchés, la remplissent de honte. Obnubilée par les excellents conseils de sa nouvelle amie Cléa, qui sait tout sur ce qu’il faut faire et dire, ou pas, au collège, Guilène ne se juge pas du tout à la hauteur. Et finit par se sentir constamment tiraillée entre l’amour éprouvé envers ses parents qui lui offrent un foyer chaleureux, font constamment preuve d’humour ou de tolérance, et la tentation de les voir à travers le regard très féroce que ses camarades portent sur cette famille différente… Narré à la première personne par une toute jeune fille se décrivant comme timide et naïve, ce récit tendre et cruel illustre bien les tourments d’une préadolescente supportant de moins en moins de se moquer de ses « vieux » avec ses camarades ; ceux-ci finiront d’ailleurs par reconnaitre que les leurs ont beaucoup moins de courage que les siens, les seuls qui oseront dénoncer l’attitude inadaptée de la professeure de mathématiques, Madame Ivans. Une analyse fine et bien menée d’un passage délicat plus ou moins bien vécu selon les enfants : j’ai trouvé Guilène très mure et finalement bien armée pour franchir cette épreuve : grâce à ses vieux parents peut-être ?

Serial Tatoo, Sylvie Allouche, Syros 2020.

Nous retrouvons l’équipe de Clara Di Lazio pour une troisième enquête dont la noirceur n’a rien à envier aux précédentes (présentées dans les « Coups de cœur 2020 »). Le fameux « instinct » de la commissaire l’alerte lorsqu’Ayo Madaki vient signaler la disparition de sa fille ainée. Cette Nigériane, dont on a assassiné le mari et dont le fils a disparu, a fui son pays avec ses trois filles : elles connaissent depuis trois ans en France la vie difficile de tous les migrants. Clément, Louise, Gauthier et Nathan découvrent que Shaïna s’est sans doute « vendue  » pour aider sa famille, sans mesurer à quoi elle s’exposait ; plus soudés que jamais autour de leur cheffe, ils s’engagent alors dans une course contre la montre afin de sortir la jeune fille des griffes de trafiquants d’êtres humains, prêts à tout pour de l’argent. Louise, notamment, fait preuve d’un courage inouï en se jetant dans la gueule du loup, ce que le lecteur découvre dès le prologue. Bien documentée, tant sur le quotidien des policiers que sur la traite d’êtres humains et la prostitution, l’intrigue se déroule sans temps morts, y compris quand elle piétine : l’emploi du présent, la concision et les nombreux dialogues y contribuent largement. Nul doute que le tatouage sera perçu différemment quand le lecteur comprendra quelle fascination perverse son côté « artistique » peut exercer… Les personnages récurrents prennent de l’épaisseur et leur humanité nous touche ; les jeunes femmes, parfois mineures, restent des proies faciles, manipulables à souhait, qu’elles soient déjà sous la coupe de proxénètes, à la recherche d’une vie meilleure ou favorisées comme Anya Parov, dont la naïveté s’explique par son amour de l’art du tatouage et surtout par le besoin absolu de reconnaissance de la part d’un père vis-à-vis duquel elle nourrit des sentiments contradictoires.

Cannibale et L’Ange obscur, Danielle Thiéry, Syros, 2020 et 2021.

Ex-commissaire divisionnaire, l’autrice signe là ses deux premiers polars pour adolescents, après en avoir écrit de nombreux pour les adultes.
Après avoir participé à une course d’orientation sans aucune aide technologique, deux jeunes lycéens ont disparu. Roxane Flamand réapparait cependant, en état de choc, incapable d’expliquer ce qui s’est passé. Hospitalisée, amnésique, elle ne peut répondre aux questions du capitaine Antony Marin quant à son ami Rafaël Cottin, toujours introuvable. Arrivé à Épinal suite à une affaire dans laquelle il a été injustement mis en cause, le policier est donc confronté à une enquête délicate, non seulement parce qu’elle concerne des mineurs, mais également parce que sa propre fille connait très bien les protagonistes. Amoureuse de Rafaël, Olympe est convaincue que Roxane est impliquée dans sa disparition. Mais elle mène son enquête de son côté sans rien dire, laissant son père, parfois très naïf, s’enliser. Malgré la surveillance discrète du brigadier Johnny Vaillant, elle se trouve en danger. Il devient assez vite évident en effet que l’on a affaire à une manipulatrice hors pair, dont on connait les pensées indiquées en italique, le titre étant à comprendre au sens métaphorique : son propre père semble être sous son emprise… Le machiavélisme dont elle fait preuve aura au moins le mérite de permettre à Olympe, dont la mère est dépressive, de se rapprocher de son père et de collaborer entièrement avec lui. Une intrigue haletante et glaçante qui se termine de façon ouverte.
Une dizaine de mois ont passé : Olympe tente d’oublier, difficilement, l’épreuve vécue précédemment ; or l’arrivée à Épinal d’une équipe de tournage lui offre un dérivatif. Bluelight Productions va réaliser un film inspiré de deux disparitions en forêt, survenues dix ans plus tôt dans la région : Alya Bariani a été assassinée et son amie Cheyenne Vandelambre, jamais retrouvée. Malgré ses dénégations, l’ex-petit ami d’Alya, Vince de Mestre, a été reconnu coupable et condamné à treize ans de réclusion. Surnommé « l’ange obscur » en raison de son charisme et de son mystère, Vince, bientôt libérable, a été embauché pour jouer son propre rôle, réinsertion oblige ! Des mesures de sécurité exceptionnelles étant nécessaires, Antony Marin et son équipe sont donc sollicités. Le capitaine est alors loin de se douter que sa fille, encore mineure, a réussi de son côté à se faire embaucher sur le tournage. Visant un rôle de figurante, elle décroche finalement celui d’Alya, en raison de leur ressemblance, et en pince rapidement pour le « mauvais garçon »… Dès lors, une mécanique infernale s’enclenche : Vince, Olympe et Gala, l’assistante de production, disparaissent. Le passé ressurgit et Marin va devoir se replonger dans une vieille affaire s’il veut retrouver Vince et sauver sa fille. Comme le titre l’indique, le jeune homme, tel Janus, présente deux faces : qui est-il vraiment ? Que s’est-il passé autrefois ? La vérité surgira enfin après de multiples rebondissements. L’intrigue, bien ficelée et menée tambour battant, tire en grande partie sa force de la mise en scène crédible du milieu du cinéma, pour un tournage très particulier puisque certains personnages sont interprétés par les acteurs du drame, ce qui change tout !

Nouveautés en matière d’éditions et de collections

GALLIMARD JEUNESSE

« Héroïnes de la mythologie » est une nouvelle série (2021) mettant en scène les femmes reléguées au second plan des récits mythologiques. Rédigés par Isabelle Pandazopoulos, les deux premiers opus mettent en scène Athéna la combative et Pénélope la femme aux mille ruses. De l’enfance à la maturité, l’autrice revisite l’histoire de chaque héroïne, mortelle ou déesse, en adoptant le point de vue de chacune d’entre elles. Une excellente initiative pour mettre en valeur des femmes dont les qualités et les défauts n’ont rien à envier à ceux des hommes.

« Scoop à Versailles » d’Annie Pietri/Alban Marilleau puis Mégane Lepage (2021) conjugue histoire et enquêtes policières, menées conjointement par Gaspard janvier, journaliste au « Mercure Curieux » et Louise Françoise de Bourbon, fille du Roi-Soleil. Dans L’Affaire des treize pièces d’or et L’Enlèvement de la Ménagerie Royale, les deux alliés et amis devront trouver qui veut empêcher le mariage d’Anne d’Orléans et du duc de Savoie, puis résoudre la disparition de certains animaux. Un duo improbable mis en scène par une passionnée de la période (Les Orangers de Versailles, L’Espionne du Roi-Soleil).

PÈRE CASTOR/FLAMMARION JEUNESSE

La série « Les petits mystères d’Égypte », Pierre Gemme, illustrations de Mary Gribouille, Romans 6-8 ans, 2021 et 2022, permettra aux plus jeunes de découvrir l’univers de l’Égypte des pharaons grâce aux aventures de la jeune Aouni, douée de quelques pouvoirs, et de son chat Finou, plutôt rusé. Quatre titres sont déjà parus, La Colère des Dieux, La Momie maléfique, Menace sur l’obélisque et Le Rugissement du sphinx. Une collection attrayante misant sur les facilitations de lecture grâce à une mise en page aérée, un résumé de chaque chapitre au début du suivant et l’explication des mots difficiles en bas de page, sans compter des compléments d’information en fin d’ouvrages.

Autre série destinée au même âge, Bandit, chien de génie de Pascal Brissy, illustrée par Mehdi Doigts, met en scène le chien de Léonard de Vinci, un détective très gaffeur, qui mène des enquêtes désopilantes à Florence au temps de la Renaissance. Trois titres déjà parus en 2021 : Le Monstre du fleuve, Le Collier de Mona Lisa et Le Tableau mystère.

CASTERMAN

Moi, j’aime pas l’école, Sophie Furlaud/Laurent Simon, 2021, est un nouveau titre de la série déjà évoquée en 2020, « Aimée et Mehdi au fil de la vie ». En 32 pages, accessibles dès la maternelle, nos deux amis vont confronter leurs points de vue : grâce à Mehdi, Aimée finira par comprendre et admettre que l’école n’est pas forcément une punition, mais peut-être surtout un trésor de bienfaits…

DES NOUVELLES DES RÉSEAUX DÉJÀ PRÉSENTÉS

EXILS ET MIGRATIONS

Arthur et Malika, Paule Brière et Claude K. Dubois, D’eux, 2021.

Ce que l’un voit à la télévision, l’autre le vit. Malika a fui son pays en guerre avec sa famille ; elle commence une nouvelle vie dans un pays où elle ne connait personne et mène enfin une existence plus tranquille, même si elle fait encore des cauchemars. Avec tact et pudeur, avec ou sans paroles, le quotidien de Malika et d’Arthur se déroule parallèlement sous nos yeux, banal ou angoissant, doux ou triste. Les deux enfants, que tout semble opposer, vont pourtant se rencontrer et devenir importants l’un pour l’autre. Un album qui traite de l’exil et de la migration, mais également des petits bonheurs ou petites misères de l’enfance, avec simplicité et finesse, notamment grâce à des illustrations crayonnées, tout en délicatesse.

Comment mettre une baleine dans une valise ?, Guridi, traduit de l’espagnol par Anne Casterman, CotCotCot Éditions, 2021.

Dédié « À toutes les personnes qui luttent jour après jour pour survivre dignement en fuyant l’horreur », voilà un magnifique album évoquant très poétiquement le départ nécessaire, mais si angoissant, pour une destination inconnue. Une immense baleine rouge face à un minuscule personnage bleu aux traits indéfinis symbolise l’impossibilité d’emporter avec soi tout ce qui constitue notre vie : objets certes, mais également souvenirs, amis et tant d’autres biens, matériels ou immatériels. Cet arrachement se traduit en peu de mots et par de très belles illustrations (aquarelles) prenant toute la place, passant même d’une page à l’autre, avant de se réduire à un dessin qui, plié, trouvera enfin sa place dans une toute petite valise. Il me semble que la « solution » imaginée par le narrateur concentre tout l’espoir de ceux qui, à la dernière page, regardent vers un avenir qu’ils espèrent meilleur. Le titre original espagnol « Como meter una ballena en una maleta » (2019) est d’ailleurs une affirmation et non une question ! L’auteur interpelle chacun d’entre nous, nous invitant à devenir citoyens du monde au lieu de nous enfermer derrière nos frontières.

RÉÉDITIONS OU PARUTIONS AU FORMAT DE POCHE DE TITRES DÉJÀ ÉVOQUÉS (ou pas, d’ailleurs…)

Aux éditions lemuscadier, « Rester vivant »

Ce point qu’il faut atteindre, Mireille Disdero, 2020.

Violette, 17 ans, se sent très mal depuis qu’elle est rentrée de Paris en novembre ; passionnée d’écriture et très active sur la toile, elle s’est rendue à une fête organisée par des membres du forum littéraire auquel elle participe activement. Ses camarades ne la reconnaissent plus, notamment Arnaud, son ami depuis la cinquième, qui s’inquiète. Son point de vue alterne avec celui de Violette, celle-ci ne se souvenant plus de rien jusqu’au moment où les évènements lui reviennent par bribes. Même s’il ne fait très rapidement aucun doute aux yeux du lecteur que Violette a été violée par Ahriman, un prédateur habile ayant infiltré le site Pen Touch, ce qui retient l’attention est le long cheminement de la jeune fille vers la vérité, ainsi que l’analyse extrêmement fine et détaillée des sentiments, émotions, résistances à laquelle se livrent Arnaud et elle-même. Ne pouvant compter sur ses parents toujours absents en raison de leur travail, c’est son amoureux et l’écriture qui l’aideront à accepter la réalité et la décideront à se battre. En revanche, je regrette une fin un peu rapide : certes, il faut rester optimiste, mais rien ne certifie que la plainte de Violette sera suivie d’un procès et si oui, celui-ci ressemblera sans doute au parcours du combattant. En outre, quid des liens qui ont été noués entre Ahriman et Lili, la modératrice du site : est-elle dupe des mensonges d’Ahriman ou a-t-elle deviné ce qu’il s’est passé ? Une première version de ce roman a été publiée au Seuil en 2013, sous le titre À l’ombre de l’oubli.

Aux éditions Gallimard Jeunesse, « Pôle Fiction »

River, Claire Castillon, 2021. Présenté dans  les « Coups de cœur 2020 »

L’aube sera grandiose, Anne-Laure Bondoux, 2020. Existe également en Folio, 2020.

Coup dur pour Antonine (Nine pour les intimes) : sa mère l’emmène sans crier gare dans une cabane au bord d’un lac, lui faisant ainsi rater la fête de fin d’année du lycée. Commence alors une folle nuit durant laquelle la jeune fille de 16 ans va découvrir tous les secrets de sa famille maternelle. Titania a en effet décidé de révéler à sa fille tout ce qu’elle a dû lui taire depuis sa naissance pour la protéger. Autrice de polars surnommée « La fée du suspense », la narratrice distillera tout au long de la nuit l’incroyable histoire de sa propre mère, Rose-Aimée et de ses deux frères, les jumeaux Octo et Orion : elle maintient ainsi Nine et les lecteurs en haleine. Au petit matin, l’adolescente devra faire la connaissance d’une nouvelle famille dont elle n’a jamais entendu parler ! L’intrigue, bien menée, interrompt le présent (2016), narré à la troisième personne, par de nombreux retours en arrière déroulant le récit à la première personne de Consolata : celui-ci démarre en 1970, lorsqu’elle a 6 ans. Il met en scène des personnages très attachants, appartenant à trois générations différentes, que l’amour d’une mère pour ses enfants a séparées.

Shikanoko : L’Enfant du cerf (1), La Princesse de l’Automne (2), L’Empereur invisible (3) et L’Héritier de l’arc en ciel (4), Lian Hearn, traduit de l’anglais par Philippe Giraudon, 2020 et 2021. Existe également en Folio, 2021.

La parution en poche, qui plus est en deux tomes seulement (Livres 1 et 2, 3 et 4) au lieu de 4 à l’origine, réjouira les fans de Japon médiéval et de magie, ainsi que tous ceux qui ont adoré Le Clan des Otori de la même autrice. Cette nouvelle fresque politique et amoureuse se situe aux origines de l’histoire des Otori, dont elle reste cependant indépendante.

Une multiplicité de points de vue rend compte de la richesse de l’intrigue mettant en scène un nombre impressionnant de personnages gravitant autour de Shikanoko, rescapé d’entre les morts, devenu « L’Enfant du cerf », dont le destin s’accomplit sur plus de 1000 pages. Épopée surnaturelle et fantastique sans temps morts, rédigée dans une langue fluide et agréable qui plaira tant aux adolescents qu’aux adultes.

Aux éditions PKJ

Snap Killer, Sylvie Allouche, « Dans la poche », 2021. Présenté dans les « Coups de cœur 2020 »

Aux éditions J’ai lu

La Folle Épopée de Victor Samson, Laurent Seksik, 2021. Présenté dans les « Coups de cœur 2021 »

 

 

Je signale enfin la parution, chez Gallimard Jeunesse (2021), du livre de Sophie Van der Linden Tout sur la littérature de Jeunesse de la petite enfance aux jeunes adultes, qui devrait combler tous ceux, professionnels ou non, qui s’intéressent à la littérature de jeunesse. Les huit parties (Histoire du livre pour la jeunesse, Les grandes caractéristiques de la littérature pour la jeunesse, Conseils pour la lecture, Tous les types de livres, Les grands genres, Bibliothèques idéales, La littérature de jeunesse en question et Carnet pratique) totalisant plus de 50 chapitres indiquent assez à quel point l’ouvrage vise à l’exhaustivité en multipliant les entrées et les points de vue. Quand on connait le dynamisme du secteur (18000 nouveautés par an ces dernières années…), on mesure le défi que cette spécialiste reconnue s’est lancé ! Pari tenu, cet ouvrage, par ailleurs très bel objet-livre abondamment et judicieusement illustré, se lira d’une traite ou ponctuellement selon les intérêts du moment : chacun y trouvera son compte. Je rappelle également son travail, extrêmement riche, clair et précis, autour de l’album, Lire l’album, L’atelier du poisson soluble, 2006 et son premier ouvrage concernant Claude Ponti, Être éditions, 2000.